21/05/2013

www.penseesplastiques.com

Pensées Plastiques a déménagé, il s'est désormais doté d'un .com comme les grands et a subi un joli ravalement de façade par les designers graphiques de chez Large.

Je vous invite donc à me retrouver à présent par là-bas en cliquant ici !

http://www.penseesplastiques.com/

28/03/2013

Les vidéos du débat sur le revenu de base au Lieu-dit

Le 28 février dernier, l'association Report Out Loud (ROL) organisait une soirée café-débat sur le thème du Revenu de base au "Lieu-dit", à Paris. Si, comme moi, vous n'avez pu participer à cette rencontre, voici les vidéos pour revivre le débat.

1ère partie : Qu'est-ce que le Revenu de base ?
Intervention de Jean-Eric Hyafil, doctorant en économie.


2ème partie : Équité de la redistribution et efficacité économique.
Intervention de Marc de Basquiat, docteur en économie.

3ème partie : Questions/Réponses 
Avec Jean-Eric Hyafil, Marc de Basquiat et le public du Lieu-dit.

Signez l'initiative citoyenne européenne pour le revenu de base 
N'oubliez pas que la médiatisation de l'initiative du revenu de base, qu'elle aboutisse à la mise en place effective du projet ou non, a au moins le mérite d'amener sur la place publique une remise en question de la valeur travail telle qu'elle est conçue aujourd'hui. En soi, cette réflexion est déjà une avancée. Pensez-y.

15/03/2013

Le Pape François, à mi-chemin entre progressisme social et conservatisme sexuel (RTL)

En ayant choisi un nom en hommage à Saint François d'Assise, religieux catholique né riche qui fait le choix de la pauvreté pour se mettre au service des marginalisés et mieux les comprendre, le nouveau pape opère une transition symbolique pour l'Église, ces dernières années souvent accusée de faste et d'arrogante opulence. Mais ce "progressisme" n'est que social, puisque sur les questions sexuelles, le Pape François reste en réalité bel et bien conservateur, dans la continuité de son prédécesseur Benoît XVI.

J'ai commencé une collaboration avec RTL.fr et voici un de mes premiers papiers, consacré à ce double positionnement socio-politique vue d'Internet.




— Voir également Le Pape François, tout juste élu, déjà parodié

04/03/2013

La révolte et la pub (Le Monde Diplomatique)


 Ce mois-ci, j'ai écrit un article pour Le Monde Diplomatique : la révolte et la pub, ou comment le marketing se sert de l'esthétique de l'insoumission pour vendre.

— Vous pouvez prendre connaissance du papier en suivant ce lien. Bonne lecture !

03/03/2013

Interview de Karim Hammou (les Inrocks)


Sur le crâne de Karim Hammou trônent deux casquettes : celle de docteur en sociologie et celle de grand amateur de hip-hop. Mais le couvre-chef n’est nullement bipolaire puisque celui qui est aussi l’animateur du blog Surunsonrap a choisi, il y a 10 ans, de faire de sa passion son objet d’études. Alors étudiant en sociologie, Karim Hammou décide de travailler sur le rap à l’occasion de son mémoire de Master 1, qui se transformera ensuite en thèse. Il y a quelques mois, fort de cette décennie de réflexions et de rencontres sur le terrain, Karim Hammou a publié Une histoire du rap en France aux éditions La Découverte. Dans cet ouvrage, il montre comment le genre musical apparaît dans les années 80 et finit par perdurer jusqu’à s’inscrire définitivement dans le paysage des industries musicales du pays. Le sociologue en profite également pour revenir sur la question des banlieues, et met brillamment en lumière un genre musical qui s’est toujours construit en tension avec les pouvoirs en place. Rencontre.

— Cliquez ici pour lire l'entretien sur les Inrocks.com.

26/02/2013

Soirée débat Politis avec Leila Shahid

Dans le cadre de la semaine anticoloniale, Politis organise ce vendredi 1er mars un grand débat sur la question palestinienne.

Entrée libre, à la Maison des Métallos (94 rue Jean-Pierre Timbaud, métro Couronnes ou Parmentier). Venez nombreux !

08/02/2013

Dégradation au Louvre-Lens : quand la lecture "médiocrité sociale"rassure et flatte

Et c'est reparti pour un tour. Alors que l'on apprend aujourd'hui la dégradation de l'œuvre phare du Louvre-Lens, La liberté guidant le peuple de Delacroix, les commentaires sur "la bêtise des gens du Nord" vont de nouveau bon train.

Une jeune femme de 28 ans aurait détérioré le tableau en y taguant « des inscriptions ayant trait à des revendications dont on ignore pour l'instant l'objet », et depuis ça se bouscule au portillon des petites sorties sur les réseaux sociaux.

« Bienvenue chez les Ch'tis », « les Lensois sont des arriérés » et autres « Vive les bouseux » fleurissent ci et là, comme autant d'affirmations que le Nord serait un bastion de citoyens simplets. L'idée de fracture sociale apparaît alors comme source de divertissement.

Faut-il pourtant rappeler que les dégradations d'œuvres sont légion dans le monde entier (le "Penseur" de Rodin vandalisé en Argentine, la toile des "Deux Tahitiennes" de Gauguin roué de coups, un Rothko attaqué par un artiste russe, l'Urinoir de Duchamp victime d'un happening, etc.) ? S'accaparer l'incident du Louvre-Lens et y aller de sa petite pique "Nord = beaufs" (surtout sur un réseau social comme Facebook, réservoir à punchlines pensées pour fédérer un maximum de personnes, la plupart du temps sans aspérités politiques et avec le plus clair des consensus de l'imaginaire collectif) ne renforce pas seulement les clichés, mais confine tristement aussi au storytelling de la misère sociale.

Le parisien-bio-secteur-tertiaire(*) ressent-il tant le besoin d'être rassuré du haut de son donjon "surplombant la médiocrité provinciale" ? Encore un peu et on verra peut-être le discours « les gueux ont vandalisé le tableau qui était pourtant la métaphore de la culture guidant les terrils… Ces paysans ! » s'assumer pour de bon. En attendant, le jacobinisme prétentieux et la lecture "médiocrité sociale" ont encore de beaux jours devant eux.

(*)Edit nécessaire au vu des réactions : Ceci est à prendre comme une métaphore. L'expression ne renvoie pas à tous les habitants de Paris de façon incluante, mais est une image du parisianiste ou tout autre habitant fier de sa métropole. Évidemment, tous les Parisiens ne se moquent pas des Lensois de même qu'il y a sans doute des Auvergnats qui eux le font. Mon propos était essentiellement d'illustrer l'idée que les classes moyennes et supérieures de la société tirent souvent un certain plaisir à rire de la fracture sociale, rassurante et flatteuse pour leurs propres conditions. Autre prolongement de ce rire : l'émission Bienvenue chez les Ch'tis, qui semble aujourd'hui distraire les spectateurs de façon aussi cathartique que, par le passé, les vaudevilles avec la noblesse. « Offrez moi une image drôle et peu reluisante de ce que les autres sont, que je me rassure d'être moi-même ! »

30/01/2013

Interview de Zahra Ali pour Vice, version longue

— Vous trouverez dans le nouveau numéro de Vice, le numéro des causes perdues, un aperçu de l'échange que j'ai eu avec Zahra Ali, sociologue spécialisée en féminismes islamiques, également disponible à ce lien : http://www.vice.com/fr/read/personne-n-aime-le-feminisme-islamique-v7n1. Voici la version longue de cet entretien.

Instinctivement, personne n’associerait les mots « féminisme » et « islamique » dans la même phrase. Pourtant, il existe depuis maintenant deux décennies un mouvement de lutte contre le patriarcat qui se base bel et bien sur les textes coraniques. Zahra Ali, sociologue spécialiste en Moyen-Orient et questions de genre, vient de sortir Des féminismes islamiques aux éditions La Fabrique. Un excellent bouquin dans lequel on apprend notamment que le féminisme islamique souffre aujourd’hui de deux inimitiés : les féministes blanches et donneuses de leçon pour qui une femme voilée est forcément une femme asservie et les intégristes religieux qui considèrent le féminisme comme un produit de la modernité occidentale. J'ai été boire un thé avec Zahra Ali avant qu’elle ne saute dans son Eurostar pour regagner Londres (là où elle vit), histoire qu’elle m'explique un peu les tenants et les aboutissants du féminisme islamique, entre progressisme musulman et tentative de décoloniser le discours féminisme.


Qu’est-ce que le féminisme musulman, exactement ?
Zahra Ali : C’est un féminisme qui s’inscrit à la fois dans la pensée réformiste musulmane et dans la lignée de la critique féministe post-coloniale. Les féministes islamiques appellent à une relecture du Coran. À la mort du prophète, les hommes se sont appropriés le sens des textes sacrés, si bien que les interprétations de ces derniers sont aujourd’hui complètement imprégnées de patriarcat. Nous souhaitons une relecture de ces jurisprudences. Les femmes ont toujours eu une place importante dans l’histoire. C’est juste l’Histoire avec un grand H qui les a occultées.
Avez-vous un exemple de verset dont le sens a été détourné par les hommes ?
Le verset le plus souvent mis en avant pour justifier la domination des hommes sur les femmes, c’est le verset 34 de la sourate Al-Nisa. Il présente la notion de qiwama, souvent traduit par « les hommes ont une préémincence sur les femmes ». Or, cette prééminence ne veut pas dire « domination » comme le pensent bon nombre de musulmans. Initialement, elle se traduit davantage par « responsabilité » au sein du foyer familial : c’est notamment l’idée que durant la grossesse, le conjoint doit veiller à prendre soin de sa femme.
Concrètement, il n’y a donc aucun verset qui distingue les hommes et les femmes aux yeux de Allah.
Oui. C’est une des bases des sciences islamiques : le Coran ne se prend pas de verset à verset, mais bien dans sa totalité. Or, il y a un très grand nombre de versets qui affirment textuellement l’égalité entre les hommes et les femmes. D’ailleurs, quand Um Salama, épouse du Prophète Muhammed, l’interpelle et lui dit « j’aimerais que le Coran s’adresse directement aux femmes et qu’il reconnaisse l’égalité », on considère que la révélation aurait rappelé que musulmans et musulmanes étaient tous égaux à ses yeux. Le Prophète a toujours mis en avant le respect des femmes, dans une société pourtant encore très patriarcale. On peut parler de proto-féminisme. C’est seulement historiquement que le sens de certains versets a été détournés : à la mort du Prophète, les hommes ont voulu asseoir leur autorité.
Pour la majorité des gens, il paraît improbable d’être féministe et musulmane à la fois.
C’est la réaction la plus naturelle : le féminisme et l’Islam ont toujours été présentés comme antinomiques. D’abord, chez un certain nombre de musulmans, le féminisme est associé à la domination coloniale et parler de féminisme musulman, c’est forcément occidentaliser l’Islam et être d’accord avec un modèle de modernité normatif imposé d’en haut. Ensuite, il y a cette autre vision post-coloniale qui consiste à dire que le féminisme lutte contre le patriarcat, que l’Islam est une religion patriarcale et donc qu’on ne peut pas être une féministe légitime si l’on croit en Allah. Or, le but du féminisme islamique, c’est de casser ces idées préconçues et de tout redéfinir.
En 2005, il y a eu un Congrès international sur le féminisme musulman. Comment expliquer que le mouvement n’ait pas été beaucoup plus médiatisé depuis ?
Le concept commence tout juste à s’imposer dans les sphères académiques depuis une vingtaine d’années. On observe que le féminisme anglo-saxon s’est renouvelé, notamment dans son auto-critique – ce qui est loin d’être le cas en France. En fait, les français ont encore un blocage avec le religieux, du coup le féminisme musulman ne gagne en légitimité que lorsqu’on le dégage du sacré pour le prendre sous le prisme de l’identitaire.
C’est-à-dire ?
La France accepte plus facilement la réflexion quand on la présente sous l’angle des femmes issues de l’immigration, insatisfaites par le modèle dominant du féminisme et désireuses d’inventer un nouveau féminisme en accord avec leurs valeurs religieuses. Alors que dans le monde anglo-saxon, on a carrément des théologiennes qui parlent de féminisme, et ça ne choque personne puisque le religieux ne souffre pas des mêmes aprioris sociaux qu’en France. C’est aussi pour ça que j’ai choisi de travailler à Londres et pas à Paris. Ma carrière universitaire y est plus acceptée.
  
Il me semble que les associations féministes ont refusé de vous voir défiler à leurs côtés lors de la journée des femmes ?
Je faisais partie d’Al Houda (Association des femmes musulmanes de Rennes) en 2004, quand on a demandé à faire partie du village associatif de la journée du 8 mars. Mais depuis l’affaire du voile, un certain vent de paternalisme post-colonial type « on va décider pour vous » souffle sur la France et il n’y a de place que pour le féminisme républicain. À l’époque, le Tribunal administratif avait statué que la religion musulmane était tout simplement contraire au sens historique de la journée des femmes. À force, on s’est demandé si les alliances sont vraiment souhaitables quand la condescendance règne. Alors on a fini par faire notre propre 8 mars.
Est-ce qu’on peut parler de « féminisme blanc » ?
Ce qui est certain, c’est qu’il y a différentes façons d’être féministe. Moi, en tant que femme musulmane issue de l’immigration, je ne vais pas avoir les mêmes priorités d’engagement qu’une féministe blanche des beaux quartiers. C’est aussi ça, le féminisme musulman : c’est dire « arrêtons d’être essentialiste et de prôner un seul type de militantisme ». On ne peut pas confisquer la parole à des femmes sous prétexte qu’elles utilisent des termes religieux alors qu’elles luttent pour la même finalité : la justice sociale.
Vous parlez aussi de coupler lutte anti-sexisme à lutte anti-racisme. Cette imbrication semble pilier dans votre démarche.
Complètement. L’enjeu du féminisme islamique se trouve, à mon sens, dans cette imbrication. Par exemple, quand Ni putes ni soumises a dénoncé le sexisme dans les banlieues, cette dénonciation a été récupérée par la parole raciste et a nourri l’idée que le sexisme était l’apanage de l’Islam. En couplant notre féminisme à une lutte anti-racisme, on cherche à repolitiser le discours et à dire : « on lutte pour un féminisme au sein de l’Islam, mais aussi contre le sexisme partout ailleurs ».
Où se trouve l’avenir du féminisme islamique ?
Il se trouve dans la décolonisation du féminisme en général. Il faut inclure les questions de rapports de races et de rapports de classes dans notre réflexion. Par exemple, on voudrait que dans les pays arabes les femmes aussi puissent être mufti, et que dans les pays occidentaux, les féministes islamiques puissent être légitimement entendues. Mais pour cela, il faudrait d'abord que les musulmans ne nous voient plus comme des vendues à l’Occident, et que les autres féministes ne nous considèrent plus comme des aliénées juste parce que l’on a choisi de porter le voile…

Photos : Luca Massaro

25/01/2013

Florence Cassez, l'histoire d'une héroïsation outrancière

(ou l'affaire Florence Cassez les couilles)

Bien sûr, elle a un charmant minois. Évidemment, 7 ans de prison ce n'est jamais drôle. Assurément, son procès a subi des irrégularités. Et pourtant : était-ce une raison pour accueillir Florence Cassez comme le Messie ?

Depuis son retour en France, l'ex-prisonnière du Mexique déclenche un ras-de-marée médiatique unanimement encenseur. Le devoir de réserve, auquel tous les journalistes devraient pourtant s'astreindre, se voit éclaboussé tous les jours par une couverture médiatique émotionnelle et excessive.

Car mettons de côté les avis tout personnels que chaque citoyen est tenté d'avoir (« Tu as vu le coup monté autour de son arrestation en direct ? Obligé, elle est innocente » et autres « Non mais c'est pas possible d'être en couple avec un gros mafioso et d'ignorer tout de ses activités ») : que reste t-il ? Là où les médias devraient traiter l'affaire avec mesure et dignité, ils s'affalent en réalité de tout leur long dans le sentimentalisme et l'ingérence.


L'imbroglio judiciaire de l'affaire Cassez est une réalité. Les instincts patriotiques et sensationnalistes visant à l'accueillir comme une figure mythique, eux, un leurre.

Ces élans d'enthousiasme tapageur laissent un goût amer de réjouissances à la sauce télé-réalité : Florence la française est libérée, alors la France applaudit. Mieux : Florence l'ancienne directrice d'une boutique Eurodif calaisienne revient, et c'est le Nord qui se sent fier. Quel sinistre spectacle.

Outre le ridicule pétrin dans lequel se sont retrouvés l'ensemble des journalistes-pions chargés de ramener une image exclusive de « Florence Cassez sur le parvis de l'aéroport » (mention spéciale à cette pauvre envoyée iTélé réduite à répéter « je crois qu'on peut le dire, elle est bien arrivée » 10 fois en l'espace de 3 minutes de direct), que dire de cette aberrante récupération d'une cause télégénique bienpensante par un microcosme élitiste (hommes politiques comme commentateurs) qui ne cherche en réalité qu'à s'autocongratuler dans un pli de l'histoire ?

Reçue à l'Élysée comme les otages revenant de la guerre, Florence Cassez est également bien partie pour être citoyenne d'honneur de sa ville, si l'on en croit les mots de Michel Delebarre, sénateur-maire de Dunkerque.

Cet énorme banquet médiatique consistant à dérouler le tapis rouge à une femme dont, faut-il le rappeler, on ne sait toujours pas si elle est coupable ou innocente, occulte violemment le reste du dossier. Quid du respect dus aux familles des victimes d'Israel Vallarta Cisneros, qui avait fait des séquestrations son fond de commerce ?

Oui, Florence Cassez n'est peut-être pas coupable. Oui, elle a souffert d'un procès crapuleux et plus qu'interlope. Ça ne fait aucun doute. Mais en attendant, l'ancienne détenue (et non otage - ce qui fait une différence, rappelons-le bien) n'a pas été innocentée et l'embrouillamini judiciaire qu'elle a traversé ne fait d'elle, en rien, une héroïne.

Au risque de jouer les casseurs d'ambiance, soyons sérieux deux minutes : le traitement de l'affaire Cassez gagnerait à être plus noble. Autrement dit, pour commencer, moins euphorique.

24/01/2013

Projection du film Babylon à la Fémis

« Sur un territoire vierge en pleine nature, des populations arrivent. Rapidement, une ville se construit de nulle part. Peuplée de plusieurs nationalités, ses habitants parlent des langues différentes. Cette nouvelle Babylone entourée d’arbres et d’animaux, prend rapidement la forme d’une cité à la fois ordinaire et singulière… »

Babylon, c'est un film de 121 minutes agrégées par trois jeunes réalisateurs (Ismaël, Youssef Chebbi et Ala Eddine Slim), qui ont filmé un camp de réfugiés au sud de la Tunisie. Dans leur regard, ni des réfugiés, ni un camp, ni la Tunisie… mais des hommes perdus dans la cité éphémère qu’ils construisent avant de la quitter.

L'an dernier, le long-métrage avait reçu le Grand Prix FidMarseille et été programmé au Musée d’Art Moderne de New York.


Cette année, Babylon arrive enfin en France grâce à l'association pointligneplan et L'Impossible : une projection est organisée mercredi 30 janvier à 20h, à La Fémis (6 rue Francœur, 75018 Paris).

Les réalisateurs Youssef Chebbi et Ismaël seront présents pour animer un débat à l'issue de la projection.

Venez nombreux ! L'entrée est libre. 

—  Événement Facebook

21/01/2013

J'ai interviewé mon papa.

Mon père a fui le Vietnam en 1982. Il est arrivé en France en tant que boat people, après avoir quitté son pays natal grâce à un réseau de passeurs. L'histoire de ce périple, il ne l'a toujours évoquée que par à-coups : au détour d'une conversation et sans jamais réellement entrer dans les détails. Humilité ou pudeur, je n'ai jamais vraiment su. Mais à mes yeux, mon père a toujours eu l'étoffe secrète d'un héros qui essaye de s'oublier. Après tout, son histoire, c'est aussi celle de milliers d'autres, pourrait-il vous dire.

Pourtant, précisément parce que c'est celle d'une génération de jeunes vietnamiens essayant de déjouer les conséquences de la guerre, cette histoire, c'est aussi l'Histoire.

Et il me tenait à cœur depuis un moment d'amener mon père à lever le voile sur ce qu'il a vécu à 18 ans, un âge où rien ne vous prédispose à jouer votre vie et créer votre destin sur fond de géopolitique trouble. J'ai donc provoqué l'occasion d'une narration de son périple en proposant à mon père une interview.

Parce que rares sont les personnes à connaître l'histoire des boat people, j'ai voulu raconter celle de mon père et contribuer, à ma façon, à la mémoire collective. J'ai donc attaché mon père au canapé du salon et lui ai demandé de tout me raconter de A à Z. L'entretien a duré deux délectables heures (même si je n'ai pas retranscrit l'intégralité, dans un souci de lisibilité) - et se trouve être à ce jour la meilleure interview qu'il m'a été donné de faire. Peut-être (surtout ?) parce qu'elle m'a enrichie d'un morceau de notre patrimoine familial ? En attendant, j'espère qu'elle vous intéressera aussi.

http://www.vice.com/fr/read/he-papa-comment-tes-arrive-ici

Mon père, en France, à l'âge de 18 ans.

19/01/2013

Rencontre avec la revue XXI : débats, vin chaud et chouquettes

Demain (dimanche 20 janvier), l'excellente revue XXI (qui vient de fêter ses cinq ans) accueille ses lecteurs pour une journée spéciale rencontres et douceurs sucrées. Un rendez-vous à ne pas manquer, sur le thème « vivre le journalisme, une histoire d'auteurs et de lecteurs » : de 11h à 18h, la rédaction proposera débats, vin chaud, chocolat chaud et chouquettes, l'occasion de passer un charmant dimanche.

Je vous laisse prendre connaissance des différentes discussions programmées, ci-dessous :

« Depuis deux ans, nous partageons avec les éditions Les Arènes et l’Iconoclaste une petite maison, pleine de charme, au coeur de Paris. C’est au 27, rue Jacob, dans le 6e arrondissement. Il suffit de franchir les grilles, de passer entre les fougères, les arbustes et les camélias. Et vous y êtes ! Saluez au passage l’if vénérable. Seul arbre de la rue, il a veillé longtemps sur les éditions du Seuil. Le 27, rue Jacob, c’est au rez-de-chaussée une librairie, où vous pouvez trouver toute la collection de XXI et de 6Mois entre autres trésors. C’est aussi un endroit de rencontres, une à deux fois par semaine. Il y aura des pauses, du vin chaud, du chocolat chaud, des chouquettes évidemment royales. Des journalistes, des écrivains et des auteurs de BD parleront ensuite de leurs reportages. Toute l’équipe de la rédaction sera là. Les bébés de la maison, nés depuis cinq ans, seront de la fête, ainsi que les auteurs. Et vous aussi. Vous surtout ! En coup de vent, pour une heure ou deux, pour la journée entière, comme le coeur vous chante. De Paris, de banlieue, par le TGV, la voiture, à pied, en vélo. Et pour ceux qui ne pourront pas venir, des vidéos seront mises en ligne sur le site. Évidemment, si vous venez tous, il faudra se serrer. Mais le 20 janvier, il fera peut-être très froid. Alors on fera des roulements. On se tiendra chaud. »
Venez nombreux ! Nous on y sera, avec les copains journalistes.

PS : Si vous ne pouvez vous déplacer, sachez que XXI compte enregistrer et mettre en ligne ces débats.
PS bis : N'oubliez pas de lire le manifeste de XXI pour un autre journalisme (présenté sous forme de livret de vingt pages) qui accompagne le dernier numéro de la revue. Que l'on soit d'accord ou non sur l'ensemble des interrogations et propositions que soulève le texte, il faut reconnaître que celui-ci pose des constats intéressants sur la profession et ses enjeux futurs.

16/01/2013

Lettre à mon amie qui trouve ça un peu ridicule que j'emploie encore le mot « capitalisme »

— La dernière fois que l'on partageait quelques victuailles salées et verres de très bons vignobles de supermarché, une amie me faisait remarquer, non sans une affectueuse raillerie, que j'utilisais « encore » le mot « capitalisme ». Un archaïsme lexical (sic) qu'elle juge d'autant plus ironique que « Émilie, tu aimes consommer, en plus ! » J'ai voulu profiter de cet épisode pour lui écrire; mais aussi parce qu'il présente l'occasion pour moi de parler ici de réactivation du lexique de la révolte, un sujet qui me tient beaucoup à cœur - comme mes proches doivent déjà le savoir tant je leur bassine parfois les oreilles avec.

Chère toi (je ne cite pas ton prénom, tu serais capable de m'en vouloir, chipie)

Tu as raison de trébucher sur le mot « capitalisme » quand il sort de ma bouche ou que tu le vois traîner ici, tu as raison dans le sens où la doxa t'a donné raison : depuis les Trente Glorieuses, le terme a été déclaré trop militant et marxien, jusqu'à finalement, lentement mais sûrement, être boudé au profit d'un mot bien moins connoté, et donc apparemment plus fédérateur : « libéralisme ».

Quand j'emploie délibérément, mi-amusée mi-provocatrice, le mot « capitalisme », je le fais à double-tranchant : 1. parce qu'il m'apparaît utile de renouer avec un lexique vindicatif (on y reviendra plus tard), mais 2. en dépit du cliché vivant dans lequel l'usage d'un tel vocabulaire me place presque instantanément. Nos temps modernes aiment à estampiller les gens qui parlent de « capitalisme » et de « lutte des classes » comme des révoltés endimanchés dans le passé, des nostalgiques du temps où le PCF faisait 20% des suffrages ou encore, des passéistes englués dans le souvenir du Front Populaire. C'est une tentative de déposséder la critique radicale de sa légitimité, un moyen de la rendre inaudible en la présentant comme « trop extrême », une stratégie d'enfermement.

En effet, qu'est-ce qu'un système au sein duquel l'écart économique entre les plus pauvres et les plus riches ne fait que se creuser, si ce n'est une société de classes ? L'homme d'affaires Warren Buffet (pas le frère de Marie-George, de toute évidence) déclarait un jour : « la lutte des classes existe, et c'est la mienne, celle des riches, qui la mène et qui est en train de la gagner » - comment pourrait-on lui reprocher pareille honnêteté ?

Plus récemment, Jérôme Cahuzac avait été bien peu finaud d'affirmer devant Jean-Luc Mélenchon, sur le plateau de l'émission Mots Croisés, qu'il n'avait « jamais cru à la lutte des classes ». Dommage pour un socialo - c'est Jaurès qui doit bien se retourner dans sa tombe. Car mettons la portée symbolique de Marx de côté un instant et gardons seulement les constats : si la classe ouvrière n'existe plus aujourd'hui comme classe structurante, quid des grands perdants de la mondialisation, insuffisamment armés pour se défendre des nantis et du système qu'ils ont bâti ? Ce sont eux, les nouveaux ouvriers ! Et bien que cette classe en soi ait cessé d'être une classe pour soi parce qu'elle ne bat plus le pavé en criant à l'unisson, elle n'en continue pas moins d'exister - et ce sont les grands dominés de ce monde, masse invisible et protéiforme d'opprimés, qui s'incarnent en elle.

Licenciement de masse, austérité, emplois précaires, paradis fiscaux, loi du plus fort économique, collusion des pouvoirs, droit des immigrés bafoués, corruption à toute échelle : la santé morale de notre pays n'est pas belle à voir au moment-même où l'empire de l'individualisme (*) nous a tous conduit à une certaine dépolitisation. Nos aînés, parce qu'ils ont grandi dans une société qu'on ne leur avait pas présenté comme immuable, ont vraisemblablement été plus prompts à l'engagement que nous le sommes aujourd'hui.

 (*) qui s'explique par la fin des grands mouvements sociaux et les possibilités aujourd'hui de se réaliser autrement que par le sentiment d'appartenance à une génération qui se doit de casser la gueule à ses aînés : notamment par la carrière et la consommation, nouveaux cercles vertueux du contentement


Ma théorie, pour la résumer, est donc la suivante : nos élites économiques ont un intérêt tout particulier à confisquer la parole à ceux qui ne se retrouvent pas dans son système ultra-libéral. Cette parole confisquée passe par une attention toujours plus serviable de présenter notre économie mondiale comme une entité Léviathan qui nous dépasse et qu'on ne peut que ponctuellement modifier. Or, dans cette stratégie de marginalisation de la critique, il me semble que les choix de sémantique complaisants ont tout leur rôle à jouer. Les mots ne sont pas vains : ils sont une arme, le premier moyen de rendre intelligible la réalité qui nous entoure.

En effet, je ne t'apprendrai rien en rappelant que la classe moyenne est une catégorie de plus en plus floue tant les Français sont toujours plus nombreux à penser s'y retrouver, mus par l'auto-flatterie et l'idée sublimée d'ascenseur social. J'ai dans mon entourage des copines, diplômées mais sous-rémunérées, qui bouffent des pâtes tous les jours pour économiser et se payer des tops Sandro grâce aux quelques aides sociales qu'elles touchent. Ces filles se disent toutes « classe moyenne supérieure » parce que leurs parents sont propriétaires, qu'elles ont un job (mal payé mais c'est toujours mieux que le chômage, n'est-ce pas) et qu'elles suivent un mode de vie pas trop dégueu (la citadine libérée). Mais que sont-elles, au fond, si ce n'est des filles qui achètent des spaghettis premier prix toutes les semaines et des enfants déclassés par rapport leurs parents ? Pas sûr qu'en l'état, nous soyons si nombreux à être de cette « classe moyenne supérieure »… de laquelle on a pourtant presque tous l'impression de faire partie.

 Ainsi, j'ai la conviction que ces deux constats (le faux-élargissement de la classe moyenne + le choix lexical complaisant) vont dans le même sens : celui d'un "nivellement vers le bas" des revendications, d'un gommage des aspérités politiques et d'un recul du sentiment militant. Si de nos jours les gens qui remettent en question le système économique dans son entièreté sont étiquetés post-trotskistes ou illuminés, c'est donc bel et bien parce que la contestation radicale a été étouffée : la grande masse des mécontents se contentera désormais de ne critiquer les instances gouvernantes et financières que par à-coups et propositions de changements à la marge.

Sémantiquement, il y a donc une véritable guerre à mener. Pour nos élites cachées dans leurs donjons d'argent, l'État-Providence est devenu l'assistanat, les jeunes des banlieue sont devenus des délinquants et les ingérences des interventions diplomatiques toujours justifiées. Très bien. Qu'à cela ne tienne. Chez moi, le libéralisme sera donc le capitalisme.

 - Facile de ne pas voir la lutte des classes quand on s'appelle Cahuzac et qu'on fait partie de la classe dominante…

Ainsi, je milite aujourd'hui (à mon échelle - celle des mots, donc évidemment ça vaut ce que ça vaut) pour une ré-appropriation du champ lexical de la révolte : un vocabulaire plus critique et une syntaxe moins docile. Parce que je me trouve trop souvent déçue par le ton employé dans les médias qui, par besoin de ratisser large (dans le lectorat) et de ne froisser personne (chez les annonceurs) se mouillent de moins en moins le maillot, je me déclare en faveur d'une ré-activation d'un vocabulaire plus offensif. Dans une autre mesure, la démarche est similaire à celle de ces prostituées féministes qui cherchent  à se réapproprier l'insulte « pute » pour déposséder leurs interlocuteurs de la violence symbolique du mot. Pareil pour une catégorie grandissante d'homosexuels qui ne cherchent plus à récuser l'appellation de « pédé ».

Pour terminer, je pense qu'il faut, toutes proportions gardées, dissocier la vie du militant des convictions politiques qu'il avance. Je précise 'toutes proportions gardées' parce que j'aurais effectivement du mal à écouter un « chef d'entreprise qui roule sur l'or, jette l'argent par les fenêtres et malgré les grands bénéfices générés par sa société, n'augmente jamais ses salariés qu'ils payent par ailleurs déjà au lance-pierre »  me conter fleurette en me disant qu'il est contre la mondialisation, le secteur privé et le MEDEF. Mais je pense être assez raisonnable dans ma façon de consommer et je crois ne pas avoir de comportements diamétralement opposés aux valeurs que je prétend défendre. Je pense, je crois et j'essaye.

Cette logique non-excluante est d'ailleurs applicable à toutes sortes de luttes : on peut être hétéro et se sentir très concerné par le mariage pour tous tout comme on peut être né homme et être sensible au combat féministe. Je pense donc qu'on peut avoir les chances que j'ai (toutes choses égales par ailleurs), et être révolté par la condition de plus démunis. À mon sens, affirmer que les idées politiques sont indissociables de la position sociale occupée présente un risque double : d'un côté, on dit à l'engagé qu'il ne peut être militant s'il n'est pas opprimé; de l'autre, on invite la classe moyenne à ne pas se sentir concernée par les enjeux socio-économiques en la dédouanant de ne pas être politisée. C'est, ni plus ni moins, une forme… d'« opium du peuple ».

Oui je sais - tu vas dire que je suis incorrigible.

14/01/2013

Précision pour les déçus : pourquoi je n'ai pas parlé du xénophobe dans mon reportage sur la « Manif pour tous »

Pour les besoins de ma rubrique Le Petit Reportage sur madmoizelle, rubrique dans laquelle je publie un papier de terrain par semaine, j'ai choisi de me rendre hier à la « Manifestation pour tous ». J'étais en équipe avec mon ami photographe Tony Trichanh (à qui l'on doit ces super clichés de Jean-François Copé tout sourire, Hortefeux bien en forme, des enfants de 8 ans contre le « mariage-mirage » et des opposants au mariage pour tous en train d'imiter la chorégraphie de Gangnam Style du mieux qu'ils peuvent). Bravo Tony. (Vous pouvez cliquer ici pour lire le reportage et regarder le diaporama)

Lors de cet après-midi de travail, je me suis efforcée de discuter avec un maximum de personnes. Mon but : repartir avec autant de témoignages que possible, en dépit des consignes que les manifestants avaient vraisemblablement reçues des organisateurs (= éviter la presse).

Comme j'ai pu l'exprimer ailleurs sous le coup de la colère, un petit incident est survenu. Alors que je discutais avec un groupe de personnes venues manifester, un homme s'est avancé vers moi pour me prier de « retourner en Chine pour faire du journalisme » et « y couvrir les atteintes aux droits de l'homme » plutôt que de « rester ici et faire chier » : « Y'a pas assez de boulot, en Chine ? Avec tout le bordel des atteintes aux droits de l'homme que font les bridés, là ? » Comme si ces mots doux ne suffisaient pas, il a tenu à me les déclamer avec poésie : en hurlant.

Puisque mes parents m'ont toujours appris que la meilleure façon de répondre aux injures était de le faire avec calme et intelligence, j'y ai mis toute mon énergie et ma concentration pour ne pas m'énerver (exercice plutôt difficile dans ce genre de situation) : « Je suis née en France, et si vous faisiez allusion à mes origines, mon bon monsieur, sachez qu'elles sont vietnamiennes », ai-je rétorqué, certes en haussant le ton, mais sans insultes ni démonstration publique de mon Dark Passager aka ma-très-forte-envie-de-lui-broyer-les-valseuses-jusqu'à-ce-que-mort-s'ensuive.

La réponse n'a pas semblé lui convenir puisque ce charmant monsieur m'a retourné un très subtil « TA GUEULE ». La suite ne vaut pas spécialement le coup d'être contée : je me suis énervée, comme une furie hirsute, et l'homme s'est éloigné sans un mot.

Ce qui m'a le plus blessé dans cet épisode, ce n'est pas tant qu'un individu lambda s'en prenne à moi (ça n'est pas la première fois que ça arrive, ça ne sera pas la dernière et surtout : je suis loin d'être la seule à qui ça arrive - pas de ouin ouin qui tienne), mais plutôt cet extrême sentiment de solitude qui s'est emparée de moi quand j'ai réalisé que les gens qui nous entouraient étaient hilares. Ils ricanaient. Littéralement. Je l'ai toujours dit : on se tape de bonnes tranches, dans les manifs.

Vous êtes déjà nombreux à avoir pris connaissance de cette anecdote, puisque j'ai tenu sur le moment à la partager sur Twitter et que je n'ai pas manqué de refaire la scène à tous les amis que j'ai pu voir ou avoir au téléphone depuis hier. Ouais, faut bien évacuer, de temps en temps.

Pourquoi je reviens sur cette histoire ? Parce qu'à la publication de mon reportage aujourd'hui, vous avez été nombreux à vous étonner que cette scène ne figure pas dans mon papier.

La réponse est la suivante : ça n'a rien d'un oubli. C'est un choix. Je n'ai pas souhaité reporter cette altercation verbale, aussi énervée en suis-je évidemment sortie, parce qu'il m'aurait semblé peu judicieux de mélanger ce que j'étais venue faire (couvrir la manifestation et donner la parole aux opposants au mariage pour tous) ET ce qu'il m'est arrivé (un dommage collatéral, qui aurait, dans l'absolu, pu se produire ailleurs).

Ce n'est donc ni une fleur à cet homme, ni une fleur aux manifestants, que je fais là. C'est un bouquet de roses que j'offre à ma propre déontologie. En effet, les reportages sont toujours techniquement limités au nombre de personnes interrogées, ils n'ont pas la prétention d'un résultat d'institut de sondage, et il me semble qu'en mentionnant ma charmante discussion avec ce petit monsieur xénophobe, j'aurais immanquablement dévié de ma mission première. Pire : je me serais servie d'un article comme d'une revanche, avec tout ce que ça peut comporter de personnel et de sournois.

On m'a alors répondu : « ben non, tu ne ferais jamais que raconter ta propre expérience de la manifestation, après tout c'est la vérité : y'avait des connards, y'avait des connards ! » C'est vrai. Mais en choisissant d'offrir à cette altercation verbale autant de place qu'aux autres témoignages, j'aurais forcément rendu un texte biaisé et donc, peu révélateur de l'attitude de toutes les autres personnes que j'ai pu interroger : polie et courtoise. Pas forcément sympathique (j'avoue sans concession que je n'en inviterais pas un à boire du Kusmi Tea dans mon appart), mais polie et courtoise quand même.

Les articles objectifs n'existent pas. L'objectivité, c'est un truc que la franc-maçonnerie du journalisme vous a vendu pour mieux vous flatter avec le postulat selon lequel chaque lecteur peut se faire sa propre opinion sur la base d'une information brute, comme le pétrole. La vérité est différente : les mots n'ont pas tous la même signification, les angles non plus, et il existe 10 000 façons de mettre en avant des informations plutôt que d'autres. Je le sais, et je suis d'ailleurs assez à l'aise avec cette idée : le journaliste (pas forcément ceux que vous rencontrez au quotidien - les fameux dactylo-rédacteurs auxquels je faisais référence dans ce précédent billet, mais celui qui incarne le plus l'essence du métier) est un auteur.

Et avec toute l'humilité que je peux avoir, je persiste et signe : j'ai fait un choix. Un choix de hiérarchie de l'information.

Voilà. J'espère que les déçus comprendront ma démarche. Et si vous n'êtes toujours pas satisfait de cette explication, je vous offre une seconde opportunité de repartir d'ici comblé :

Pour ceux et celles qui aiment les femmes, une photo de jolies petites pépés anti-mariage pour tous :


Et pour ceux et celles qui aiment les hommes, une photo de joli petit pépé anti-mariage pour tous :


Crédits photo : Tony Trichanh, donc.

13/01/2013

La Fondation Cartier, Gaza et la censure

— Update 14/01 : Molly Benn, qui tient le webzine Our Age is 13, vient de me signaler, à très juste titre, qu'un cas similaire a été enregistré l'année dernière : fin 2011, la photographe palestinienne Larissa Sansour s'est vue écartée du Prix Lacoste-Élysée auquel elle était pourtant initialement nominée. Motif ? Son travail n'incarnait pas assez le thème du concours - la « joie de vivre ». Selon Larissa Sansour, Lacoste l'a surtout censurée pour son œuvre vraisemblablement jugée trop « pro-palestinienne ». Cliquez ici pour lire l'interview de l'artiste, par Our Age is 13. Notons que le musée de l'Élysée de Lausanne avait alors choisi d'interrompre le prix en signe de protestation contre la décision du mécène privé, tout en proposant à la photographe d'exposer ladite série dans ses salles.

La Fondation Cartier, prestigieux établissement culturel parisien pour l'art contemporain, vient de s'illustrer dans un sinistre épisode de censure…

Initialement invité à participer à une Soirée Nomade (événement-fierté organisé chaque année par la Fondation) ce lundi 14 janvier, le poète Frank Smith a finalement vu son nom rayé de la manifestation par les organisateurs.

Raison de l'annulation ? Son texte aborde l'opération « Plomb durci » menée par Israël dans la bande de Gaza, en 2009. Bien qu'absolument « non-militante et non-partisane », la lecture de l'œuvre littéraire a tout simplement été annulée.


Pour se justifier, la Fondation Cartier évoque un thème non-conforme à son « domaine de compétences ». Une rhétorique hypocrite quand on sait que les institutions culturelles n'hésitent d'ordinaire jamais à présenter des œuvres abordant des questions géopolitiques. L'une des prérogatives de l'art contemporain n'est-elle pas de questionner le monde moderne et donc, sa géopolitique et nos façons de penser l'homme ?

Notons que les musées ne rechignent jamais à parler des Hutus et des Tutsis, ni du conflit tchétchène - pour ne citer qu'eux. Pourquoi réserver un autre traitement à Gaza ? D'autant plus que l'œuvre de Frank Smith est très loin du brûlot militant; mais relève indiscutablement du travail poétique qui appelle à un échange apaisé.

Peut-être parce que le risque de froisser une élite sioniste est un pari trop dangereux à assumer… Et que se contenter de permettre aux vieilles dames nanties de parcourir une exposition les sourcils froncés, en s'exclamant, l'air désolé « c'est vraiment terrible, ces massacres en Afrique », c'est plus confortable.

Les institutions culturelles semblent être aujourd'hui une majorité à vouloir promouvoir un art qui ne vexe personne et s'enorgueillit à flatter un point de vue occidental et donneur de leçon.

Car programmer une lecture sur Gaza (même clairement non partisane) à l'heure où être anti-sioniste c'est souvent risquer d'être taxé d'antisémite, ce n'est pas aussi facile à défendre qu'une programmation masturbatoire, exotique et sans risque. Programmation qui, de part son aptitude décomplexée à accepter de couvrir certains faits historiques et en rejeter d'autres, confine tristement aux relans néo-colonialistes.

L'Intellengtsia bienpensante a encore de beaux jours devant elle.

Cliquez-ici pour lire des extraits de « Gaza » de Frank Smith

11/01/2013

Le Louvre-Lens, ou storytelling de la « culture chez les Ch'tis »

Pourquoi s'éponger le front à aller faire les soldes quand il suffit d'ouvrir la presse du jour pour trouver des (informations au) rabais ?

Cynisme un peu facile mis de côté, le reproche reste entier. Tristesse et déceptions quotidiennes de voir que, le journaliste tel qu'on le rencontre le plus souvent, a aujourd'hui moins l'étoffe d'un Albert Londres que celui d'un véloce dactylo. Des mots-clés pour séduire l'algorithme de Google, des articles peu fouillés pour gagner du temps de travail (pourquoi laisserait-on un journaliste décortiquer un sujet avec méthode quand sur la même plage horaire on pourrait mobiliser ce même journaliste à la production de 3 fois plus d'articles en lui recommandant de recracher des communiqués de presse et de bêtement paraphraser ses confrères - rythme quasi stakhanoviste mais très rentable au regard de la dictature du clic monétisé, elle-même dépendante de la couverture cadenacée des buzzs sur le net ?), un systématique recours à des captures d'écran Twitter lorsque besoin de meubler il y a, une tentation immature de tirer profit des plus vieux grands conflits de ce monde, une infernale propension à faire « de la sociologie des buzzs », un agenouillement quotidien devant l'autel du LOL et un certain sens de la rationalité économique (quantité > qualité / originalité des sujets)…

La presse, dans sa forme la plus répandue, tient aujourd'hui plus de la société de services que de la conf' de rédac inspirée. Un bon article est aujourd'hui un article sur lequel on va beaucoup cliquer, qu'il soit étayé, fourni, approfondi… ou pas. Depuis hier, un des liens les plus partagés par la profession aura été Je n'avais pas signé pour ce journalisme web, témoignage alerte sur les conditions de travail souvent imposées aux (et tues des) forçats de l'information. Je vous laisse lire si ce n'est déjà fait. Et tant qu'on y est : voici également une lettre ouverte à la profession, rédigée par un ami et confrère. Elle saura vous plaire si vous êtes de cette race de gens qui n'aiment pas seulement se faire taper sur les doigts mais veulent aussi qu'on leur fasse voir la lumière au bout du tunnel.

Il y a un exemple récent de cette trop systématique propension qu'a la presse à traiter ses sujets de manière très policée : le projet du Louvre-Lens, antenne du musée du Louvre à Paris qui s'inscrit dans une politique de décentralisation de la culture. Si le but officiel de l'opération est effectivement de redynamiser la région du bassin minier en misant sur une attractivité culturelle renouvelée, il serait incomplet de ne présenter la manœuvre qu'en termes élogieux… ce qu'a pourtant fait la très grande majorité des titres de presse.

Pire. À trop vouloir réaliser des sujets « colorés », les journalistes ont été nombreux à présenter Lens comme le QG d'enfants de mineurs aux visages rubiconds que la récente livraison du musée va venir tirer de la médiocrité ambiante, le temps d'une expo. Plans larges sur le centre-ville désert de Lens, travelings sur les vitrines poussiéreuses des rades, zoom sur une carte qui laisse entendre que le dynamisme de Lens ne tient plus qu'aux centres commerciaux de sa périphérie… La couverture médiatique du projet a frôlé la condescendance, en présentant parfois avec indélicatesse le Louvre-Lens comme « le grand projet qui va venir "culturer" les Ch'tis ».

Rares ont donc été les médias à ne pas tomber dans le parisianisme et le story-telling de la misère sociale. Rares aussi ont-ils été (à ce titre, remercions Article 11 pour son très bon « Louvre-Lens : petit kit pour dubitatifs ») à mentionner les indélicatesses des promoteurs du nouvel établissement, parmi lesquelles il faut compter l'attitude du maire, narquoisement soucieux d'établir un couloir humanitaire entre la gare et le musée pour empêcher les touristes de découvrir, avec effroi on l'imagine, le vrai Lens tout de sinistre vêtu. Ah, urbanisme et maquillage ! Ah, décentralisation et démagogie !

Du côté de l'effort journalistique, il est effectivement plus facile (et moins engageant) de faire la promotion factuelle d'un projet encensé par les pouvoirs publics que de se pencher sur la ville de Lens, passer des coups de fils et donner la parole aux dubitatifs.

Il est regrettable que la presse généraliste s'enthousiasme de moins en moins à creuser l'information, prendre du recul et émettre des avis étayés. Car, dans un monde où l'information est une industrie qui carbure à vive allure, singer ses confrères est une posture ô combien plus confortable que celle de prendre le risque de questionner l'ordre en place. Enfin, pourquoi risquerait-on de se faire des ennemis quand on peut se contenter de couvrir un événement sans se mettre personne à dos ? Quatrième pouvoir, qu'ils disaient. Aujourd'hui tout se passe comme si la critique était réservée aux journaux qui en ont fait leur marque de fabrique. Partout ailleurs, le scepticisme n'est plus requis.

Lassée de voir cette couverture unilatéralement encenseuse, je suis donc allée à Lens une demi-journée, et voici le papier que j'en ai ramené :


 
Je me demande encore pourquoi cette question a été si peu abordée par mes confrères généralistes. Peut-être qu'ils sont trop occupés à faire les soldes, vous me direz.

04/01/2013

Carte : presse et argent

Aujourd'hui, l'équipe d'Acrimed a mis en ligne une carte, graphiquement encore « un peu artisanale », de son propre aveu, mais à l'intention très louable : répertorier la plupart des propriétaires des médias français. But : « se faire une idée de l'économie politique de l'industrie médiatique », explique l'observatoire des médias.

L'organisation arborescente a été agrégée par Frédéric de Manassein et Julie Morel.



« Cette navigation est intuitive :
- En cliquant sur chacun des propriétaires, vous déploierez les niveaux successifs d’arborescence indiquant les groupes et les marques qu’ils détiennent en partie ou totalement, puis les titres de presse, les chaînes de télévision, les stations de radio, les sites internet et les entreprises de télécommunication que ceux-ci recouvrent.
- En survolant (sans cliquer) les icônes jaunes vous obtiendrez diverses informations complémentaires sur les propriétaires, et notamment leurs participations minoritaires dans des entreprises médiatiques.
- Vous pouvez aussi effectuer une recherche d’un média spécifique en sélectionnant "Plan entier" sur la carte elle-même, puis en cliquant sur l’icône représentant une loupe en haut à gauche de la page. »

— Cliquez ici pour consulter la carte (notez que vous devez disposer du logiciel JAVA pour la lire)

27/12/2012

« Fan de Obama »

En escale à Washington, j'ai pu constater, si besoin était encore une fois, la fascination américaine pour la Maison Blanche et sa figure iconique incarnée par Obama.

Comment un peuple peut-il revendiquer une posture autre que vassalisée lorsque l'exécutif du pouvoir est autant starifié ?

C'est la question qu'on s'était déjà posés ici, lorsque Obama avait remporté les présidentielles sur Romney…

22/12/2012

Bugarach, business de l'apocalypse et ineptie du journalisme

Vous l'aurez évidemment lu / vu / entendu 100 fois avant de le lire ici : Bugarach est ce petit village tranquille de l'Aude, paisiblement méconnu jusqu'à ce que les « believers » décrètent que c'est là-bas qu'il faudrait se cacher pour survivre à la fin du monde.


Depuis deux ans, les médias se bousculent à Bugarach. Effectivement, pourquoi pas se rendre sur place ? Prendre la température auprès des locaux, revenir avec des photos de cette commune à l'horizon transpercé par le massif des Corbières, tendre le micro à ceux qui croient en la fin du monde, interroger les commerçants alentours… c'est se rendre sur le terrain, c'est une des missions du journalisme, et c'est notamment ce qu'a fait VICE l'année dernière, avec ce reportage intéressant, étayé, et pour l'époque, réellement informatif. 

Quid de ces 2 derniers jours de mobilisation, frôlant l'absurde et le harcèlement pour les locaux ? Les 20 et 21 décembre qui viennent de s'écouler laissent un village fatigué, esquinté par les caméras et lassé par le ballet incessants des journalistes. 

Car le problème n'est pas tant qu'une rédaction s'intéresse à un instant T à Bugarach; le problème est que ces deux derniers jours ont tristement servi de colonie de vacances à une armada de journalistes moins mus par le désir d'information innovante et percutante que anesthésiés par le suivisme et l'agenouillement devant le buzz.

La pierre est-elle moins à jeter aux journalistes, misérables pions de l'information formatée, qu'à la profession qui accepte, avec tous les jours un peu plus d'aisance, de se soumettre à un agenda marketé ? Sans doute. 

En attendant, ils étaient bien drôles les Parisiens, tous entassés comme des adolescents essayant de trouver « le fun » dans une maison vide où il n'y a rien à faire, à s'auto-interviewer les uns les autres, pendant que le préfet se voyait dans l'obligation de déployer « les grands moyens » en prévision d'une situation « catastrophe » ! Qu'on se le dise : la vraie situation catastrophe, c'est celle de ce journalisme contraint de se regarder le nombril dans toute la bouffonnerie que supposent ces faux élans lyrico-médiatiques de piètre reportage. 

Chers confrères, Bugarach, si vous vouliez vraiment y aller… c'était peut-être n'importe quand sauf « le jour de la fin du monde », qu'il fallait le faire. Le reste de l'année par exemple; avec un angle plus honnête que celui de vouloir ramener du pittoresque à tout prix, un projet photo autre que celui d'immortaliser les collègues devant des champs, et le sincère objectif d'étudier le business de l'apocalypse, plutôt que de tristement revenir avec un article estampillé « au front » parce que rédigé le jour J.

Journalisme ou communication, qu'ils disaient.