13/01/2013

La Fondation Cartier, Gaza et la censure

— Update 14/01 : Molly Benn, qui tient le webzine Our Age is 13, vient de me signaler, à très juste titre, qu'un cas similaire a été enregistré l'année dernière : fin 2011, la photographe palestinienne Larissa Sansour s'est vue écartée du Prix Lacoste-Élysée auquel elle était pourtant initialement nominée. Motif ? Son travail n'incarnait pas assez le thème du concours - la « joie de vivre ». Selon Larissa Sansour, Lacoste l'a surtout censurée pour son œuvre vraisemblablement jugée trop « pro-palestinienne ». Cliquez ici pour lire l'interview de l'artiste, par Our Age is 13. Notons que le musée de l'Élysée de Lausanne avait alors choisi d'interrompre le prix en signe de protestation contre la décision du mécène privé, tout en proposant à la photographe d'exposer ladite série dans ses salles.

La Fondation Cartier, prestigieux établissement culturel parisien pour l'art contemporain, vient de s'illustrer dans un sinistre épisode de censure…

Initialement invité à participer à une Soirée Nomade (événement-fierté organisé chaque année par la Fondation) ce lundi 14 janvier, le poète Frank Smith a finalement vu son nom rayé de la manifestation par les organisateurs.

Raison de l'annulation ? Son texte aborde l'opération « Plomb durci » menée par Israël dans la bande de Gaza, en 2009. Bien qu'absolument « non-militante et non-partisane », la lecture de l'œuvre littéraire a tout simplement été annulée.


Pour se justifier, la Fondation Cartier évoque un thème non-conforme à son « domaine de compétences ». Une rhétorique hypocrite quand on sait que les institutions culturelles n'hésitent d'ordinaire jamais à présenter des œuvres abordant des questions géopolitiques. L'une des prérogatives de l'art contemporain n'est-elle pas de questionner le monde moderne et donc, sa géopolitique et nos façons de penser l'homme ?

Notons que les musées ne rechignent jamais à parler des Hutus et des Tutsis, ni du conflit tchétchène - pour ne citer qu'eux. Pourquoi réserver un autre traitement à Gaza ? D'autant plus que l'œuvre de Frank Smith est très loin du brûlot militant; mais relève indiscutablement du travail poétique qui appelle à un échange apaisé.

Peut-être parce que le risque de froisser une élite sioniste est un pari trop dangereux à assumer… Et que se contenter de permettre aux vieilles dames nanties de parcourir une exposition les sourcils froncés, en s'exclamant, l'air désolé « c'est vraiment terrible, ces massacres en Afrique », c'est plus confortable.

Les institutions culturelles semblent être aujourd'hui une majorité à vouloir promouvoir un art qui ne vexe personne et s'enorgueillit à flatter un point de vue occidental et donneur de leçon.

Car programmer une lecture sur Gaza (même clairement non partisane) à l'heure où être anti-sioniste c'est souvent risquer d'être taxé d'antisémite, ce n'est pas aussi facile à défendre qu'une programmation masturbatoire, exotique et sans risque. Programmation qui, de part son aptitude décomplexée à accepter de couvrir certains faits historiques et en rejeter d'autres, confine tristement aux relans néo-colonialistes.

L'Intellengtsia bienpensante a encore de beaux jours devant elle.

Cliquez-ici pour lire des extraits de « Gaza » de Frank Smith

2 commentaires:

Pierre a dit…

Putain, mais c'est très grave. C'est HONTEUX ! Il est clair comme tu dis que présenter des oeuvres sur le génocide du Rwanda est bien moins risqué qu'un truc sur la Palestine, à l'heure où toute critique est baillonnée. Encore que, de quel texte parle t-on ! Frank Smith n'est pas connu pour appeler à la haine anti-juifs.... Misérable façon franco-française de parler de culture

Stef a dit…

Aberrant. De pire en pire.