11/01/2013

Le Louvre-Lens, ou storytelling de la « culture chez les Ch'tis »

Pourquoi s'éponger le front à aller faire les soldes quand il suffit d'ouvrir la presse du jour pour trouver des (informations au) rabais ?

Cynisme un peu facile mis de côté, le reproche reste entier. Tristesse et déceptions quotidiennes de voir que, le journaliste tel qu'on le rencontre le plus souvent, a aujourd'hui moins l'étoffe d'un Albert Londres que celui d'un véloce dactylo. Des mots-clés pour séduire l'algorithme de Google, des articles peu fouillés pour gagner du temps de travail (pourquoi laisserait-on un journaliste décortiquer un sujet avec méthode quand sur la même plage horaire on pourrait mobiliser ce même journaliste à la production de 3 fois plus d'articles en lui recommandant de recracher des communiqués de presse et de bêtement paraphraser ses confrères - rythme quasi stakhanoviste mais très rentable au regard de la dictature du clic monétisé, elle-même dépendante de la couverture cadenacée des buzzs sur le net ?), un systématique recours à des captures d'écran Twitter lorsque besoin de meubler il y a, une tentation immature de tirer profit des plus vieux grands conflits de ce monde, une infernale propension à faire « de la sociologie des buzzs », un agenouillement quotidien devant l'autel du LOL et un certain sens de la rationalité économique (quantité > qualité / originalité des sujets)…

La presse, dans sa forme la plus répandue, tient aujourd'hui plus de la société de services que de la conf' de rédac inspirée. Un bon article est aujourd'hui un article sur lequel on va beaucoup cliquer, qu'il soit étayé, fourni, approfondi… ou pas. Depuis hier, un des liens les plus partagés par la profession aura été Je n'avais pas signé pour ce journalisme web, témoignage alerte sur les conditions de travail souvent imposées aux (et tues des) forçats de l'information. Je vous laisse lire si ce n'est déjà fait. Et tant qu'on y est : voici également une lettre ouverte à la profession, rédigée par un ami et confrère. Elle saura vous plaire si vous êtes de cette race de gens qui n'aiment pas seulement se faire taper sur les doigts mais veulent aussi qu'on leur fasse voir la lumière au bout du tunnel.

Il y a un exemple récent de cette trop systématique propension qu'a la presse à traiter ses sujets de manière très policée : le projet du Louvre-Lens, antenne du musée du Louvre à Paris qui s'inscrit dans une politique de décentralisation de la culture. Si le but officiel de l'opération est effectivement de redynamiser la région du bassin minier en misant sur une attractivité culturelle renouvelée, il serait incomplet de ne présenter la manœuvre qu'en termes élogieux… ce qu'a pourtant fait la très grande majorité des titres de presse.

Pire. À trop vouloir réaliser des sujets « colorés », les journalistes ont été nombreux à présenter Lens comme le QG d'enfants de mineurs aux visages rubiconds que la récente livraison du musée va venir tirer de la médiocrité ambiante, le temps d'une expo. Plans larges sur le centre-ville désert de Lens, travelings sur les vitrines poussiéreuses des rades, zoom sur une carte qui laisse entendre que le dynamisme de Lens ne tient plus qu'aux centres commerciaux de sa périphérie… La couverture médiatique du projet a frôlé la condescendance, en présentant parfois avec indélicatesse le Louvre-Lens comme « le grand projet qui va venir "culturer" les Ch'tis ».

Rares ont donc été les médias à ne pas tomber dans le parisianisme et le story-telling de la misère sociale. Rares aussi ont-ils été (à ce titre, remercions Article 11 pour son très bon « Louvre-Lens : petit kit pour dubitatifs ») à mentionner les indélicatesses des promoteurs du nouvel établissement, parmi lesquelles il faut compter l'attitude du maire, narquoisement soucieux d'établir un couloir humanitaire entre la gare et le musée pour empêcher les touristes de découvrir, avec effroi on l'imagine, le vrai Lens tout de sinistre vêtu. Ah, urbanisme et maquillage ! Ah, décentralisation et démagogie !

Du côté de l'effort journalistique, il est effectivement plus facile (et moins engageant) de faire la promotion factuelle d'un projet encensé par les pouvoirs publics que de se pencher sur la ville de Lens, passer des coups de fils et donner la parole aux dubitatifs.

Il est regrettable que la presse généraliste s'enthousiasme de moins en moins à creuser l'information, prendre du recul et émettre des avis étayés. Car, dans un monde où l'information est une industrie qui carbure à vive allure, singer ses confrères est une posture ô combien plus confortable que celle de prendre le risque de questionner l'ordre en place. Enfin, pourquoi risquerait-on de se faire des ennemis quand on peut se contenter de couvrir un événement sans se mettre personne à dos ? Quatrième pouvoir, qu'ils disaient. Aujourd'hui tout se passe comme si la critique était réservée aux journaux qui en ont fait leur marque de fabrique. Partout ailleurs, le scepticisme n'est plus requis.

Lassée de voir cette couverture unilatéralement encenseuse, je suis donc allée à Lens une demi-journée, et voici le papier que j'en ai ramené :


 
Je me demande encore pourquoi cette question a été si peu abordée par mes confrères généralistes. Peut-être qu'ils sont trop occupés à faire les soldes, vous me direz.

2 commentaires:

Claire a dit…

Ton reportage souligne des réflexions très intéressantes, dont le reste des articles que j'ai pu lire à ce sujet a toujours manqué. Bravo !

Bruno a dit…

En effet, les journalistes ont presque unanimement préféré avaler puis vomir les communiqués de presse présentant comme le Louvre Lens comme le messie. Dieu seul sait que le maire de Lens est une pourriture finie !