27/10/2012

Le Monde, Eric Izraelewicz, les SDFs et la caution humaniste

C'est un des articles les plus relayés de la journée qui vient de s'écouler : « une journée dans la vie d'Eric, SDF à Paris » raconte le quotidien de cet ancien commissaire de police belge, que la dépression et un mariage malheureux, a fini par faire échouer en France, sur un banc du XIIIe arrondissement. Le papier de terrain décrit les différentes étapes de cette journée interminable (on s'en serait douté, le temps passe lentement quand on n'a rien à faire), « beckettienne, interrompue çà et là par un rendez-vous à la CAF, quelques heures de "travail" (la manche) ou un ravitaillement au supermarché ».


Pourquoi cet article a t-il été autant relayé ? Parce que nous, lecteurs, ne sommes pas habitués à lire des papiers entiers consacrés à la misère sociale - pour une fois pas celle du bout du monde, exotique et extra-ordinaire, mais celle du square d'à côté. Celle que l'on voit tous les jours, sans même plus prendre la peine de se demander : « pourquoi ces gens sont-ils à la rue ? », « comment sont-ils arrivés là ? », « ont-ils une chance de s'en sortir ? », « où se trouve leurs familles ? ces gens ont bien une famille, non ? » Tout se passe comme si cette misère-là, à la fois banale et banalisée mais aussi lointaine et distante (personne ne s'imagine risquer de finir à la rue un jour), ne faisait plus que partie de notre mobilier urbain. Au même titre que le réverbère sur lequel le chien de la voisine pisse tous les jours, le cassis du bout de la rue, les poubelles vertes et la plaque d'égout qui glisse-surtout-quand-il-pleut, donc.

En ce sens, oui cet article m'a touchée. Je l'ai trouvé humble, descriptif, immersif comme il faut, pas voyeur et tapageur mais juste et emphatique.

Ce que je trouve plus cynique en revanche, c'est qu'il fasse office de caution humaniste au milieu des prescriptions capitalistes du Monde, titre qui s'est lentement mais sûrement imposé comme garde-fou de l'ultra-libéralisme économique et des mesures d'austérité. En effet, depuis qu'Eric Izraelewicz, « spécialiste en économie » et produit de l'école HEC, a pris les rênes du journal du soir, les injonctions libérales et germanophiles (à ce propos, je vous recommande cet article d'Acrimed) ne manquent pas dans les éditos du titre. 

De façon générale, je trouve indécent la fourbe capacité des médias à dissocier les causes des conséquences, comme si l'on pouvait décemment s'agenouiller quotidiennement devant l'autel du grand capital, puis se poster en candide observateur de la pauvreté le temps d'un reportage humaniste. Car, faut-il le préciser, les SDFs rencontrés pour les besoins de cet article, SONT les victimes collatérales de l'ultra-libéralisme que Eric Izraelewicz lustre amoureusement tous les jours.

Finalement, ce papier de terrain sur les SDFs de Paris, c'est un peu comme quand tous les 36 du mois vous donnez 50 centimes au clochard agenouillé devant la boulangerie de laquelle vous venez juste de sortir, un croissant aux amandes à la bouche : une tentative de se racheter une bonne conscience. 

— Edit du matin : mon très cher ami Emmanuel Daniel semble partager le même fond de pensée. Il parle de la misère comme d'un « business comme les autres ».

3 commentaires:

François a dit…

Salvateur, ce post.
J'ai vu les gens acclamer cet article du Monde toute part hier. Incroyable de naïveté, cette capacité des foules à tout encenser sans rien questionner....

Anonyme a dit…

merci pour ces posts critique des médias

Gaby a dit…

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