16/10/2012

Europe nobélisée : geste poétique ou foutage de gueule ?

À propos de l'Union Européenne nobélisée, José Manuel Barroso évoque « un rayon de soleil dans un ciel européen assez sombre ». Les gros nuages gris dont il parle ne sont autres que la crise financière, le chômage et la défiance des euro-citoyens. Dans sa déclaration du 9 mai 1950, Robert Schuman affirmait pourtant :

« À l'opposé d'un cartel international tendant à la répartition et à l'exploitation des marchés nationaux par des pratiques restrictives et le maintien de profits élevés, l'organisation projetée assurera la fusion des marchés et l'expansion de la production. »

Alors, pourquoi récompenser l'Union Européenne pile au moment où elle expérimente la pire crise identitaire de son histoire ? Depuis vendredi, jour où le comité a rendu publique sa décision, les sarcasmes pleuvent. « Prix Nobel de l'humour noir » entend-on par ci, « Nobel de la propagande » lit-on par là. Clairement, l'Europe récompensée n'est pas celle des Grecs, ni celle des ouvriers massivement licenciés. Est-elle seulement celle qui peine à s'unir autour d'une position à défendre sur le cas de la Syrie ? Aux yeux de ses habitants, l'Europe souffre d'une image de monstre bureaucratique : quelles sont ces décisions prises à Bruxelles et en quoi intercèdent-elles en faveur des citoyens ?


Certains arguent qu'il faut prendre ce Prix Nobel comme un acte poétique voire esthétique : c'est la récompense d'un demi-siècle de paix, dans une de ces régions du monde, berceau des Lumières et de la révolution industrielle, où le fédéralisme a su prévenir les États membres de toute altercation armée. C'est vrai. Mais à la différence du Prix Nobel décerné à Obama, arrivé trop tôt car le président américain n'aura finalement pas réussi à honorer toutes ses promesses électorales, le Prix Nobel pour l'Europe, lui, arrive trop tard.

« Certes, l'Union européenne tente de changer l'Europe et le monde de manière pacifique, mais elle se fait payer pour ça »

note Lech Walesa. Et l'ancien président polonais de rappeler que les activistes s'engageant dans leur action juste pour défendre une idée ne manquent pourtant pas.

De l'encouragement, vraiment ?

Angela Merkel n'a pas manqué de l'affirmer : la paix n'est jamais acquise, et à l'échelle de notre histoire, les 60 ans de l'Union Européenne (l'âge d'un vieil homme, donc) ne sont qu'un court battement de cil. Dans ce contexte, attribuer le Prix Nobel de la Paix à l'Union Européenne est un geste d'encouragement, une reconnaissance des efforts passés, une invitation à aller de l'avant.

Sauf que : est-il bien malin de récompenser l'Union Européenne au moment où elle est devenue un maillage bureaucratique en lequel les citoyens ont du mal à se reconnaître ? Peut-on sérieusement choisir de primer une entité qui rime désormais avec politiques d'austérité imposées aux peuples ? Le traité de Lisbonne a été ratifié par les parlementaires, au nez et à la barbe des 55% des électeurs qui s'y sont pourtant opposés le 29 mai 2005.

Couronner cette Europe-là, c'est l'asseoir sur ses lauriers. C'est obliger le vieillard à faire une révérence sous les feux de la rampe alors qu'il a mal aux lombaires. C'est lui écrire une épitaphe.

Pourquoi lustrer ce Nobel de poésie sentimentale et de douce nostalgie alors que tous les jours, les marchés financiers se jouent du comique de répétition et du drame ?

En tant que jeune femme de notre siècle, ancienne étudiante qui a eu la chance de vivre un an en Erasmus alors que le programme est actuellement économiquement menacé, et jeune active dont le travail invite à un intérêt pour l'actualité européenne, j'ai du mal à me sentir en phase avec cette Europe, alors que j'ai a priori tout pour me sentir européenne. Quid de la Roumaine de 40 ans, récemment licenciée, et vivant dans son petit faubourg en phase terminale de paupérisation ? J'ose à peine y songer.

Ce n'est pas en récompensant l'UE qu'on va lui donner la force d'aller de l'avant. C'est en incluant davantage sa population dans le processus de souveraineté. Tiens, en voilà une idée…

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