18/10/2012

Du parti pris visuel de la presse française (ou plutôt « du non parti pris »)

Alors que Courrier International pouvait se targuer autrefois d'avoir une des Unes les plus chaloupées de nos kiosques, voilà que l'hebdomadaire d'information français semble avoir cédé aux sirènes de l'homogénéisation du paysage visuel.
Au Figaro, on dit que le titre « se modernise » :
« Le lancement de cette nouvelle formule s'inscrit dans un plan de modernisation et de valorisation de l'ensemble de l'offre éditoriale du groupe Le Monde. »
Avant - la lettre du monde, géopolitique, voyageuse. Un logo racé.

Après - une formule plus « fun », colorée, joyeuse, « pêchue », douce et qui ferait un parfait dessous de table pour le consommateur de latte macchiato au Starbucks
(À ce propos, je vous invite à lire ce post de Large)

Un nouveau rubricage


Bon. La refonte passe également par l'apparition de nouvelles rubriques : "Plein écran", dédié à l'image et "Signaux", vitrine d'infographie et de data journalisme. Ça, c'est cool. L'esprit, lui, reste le même : « le regard d'un pays sur un autre à travers sa presse », rappelle Eric Chol, le directeur de la publication. Et quand il ajoute…
« Il s'agit aussi de prendre le large par rapport aux éternelles couvertures des magazines sur l'immobilier, le mal de dos, le classement des hôpitaux ou le vrai pouvoir des francs-maçons »
… je suis évidemment ravie que toute la presse française ne se résume pas aux Unes du Point et de L'Express, rédactions adeptes du buzz-marronnier-économiquement rentable. 

Après tout, Courrier International est aujourd'hui le seul titre en France à s'être aussi bien imposé comme hebdo-revue-de-presse-de-ce-qui-se-fait-ailleurs, et est, à mon sens, un vrai pilier de notre paysage médiatique français. Mais alors : quid de cette nouvelle maquette ? Pourquoi ce lissage, pourquoi ce manque d'esthétique anglée, pourquoi cette allure policée ?

Partout ailleurs, triste homogénéité visuelle dans la presse


Pour des raisons historiques d'influences et de filiation des codes visuels, l'ensemble de la presse a toujours été graphiquement fidèle à elle-même. Pour grossir le trait (vous avez forcément déjà fait, en tant que lecteur, ces constats) :

1. les titres politiques s'imposent sans relâche cette espèce d'ascèse visuelle (sous-entendu : on parle de choses sérieuses, alors on table sur des mises en pages jansénistes)



2. les magazines de mode jouent constamment sur ce que le marketing a appelé « design épuré » (sic)



3. les newsmags ressemblent tous à des affiches de réclames rouges et jaunes



4. les titres féminins s'obligent à systématiquement convoquer le rose bonbon et les mêmes photoshoots « acidulés »



5. les magazines trendy utilisent invariablement les mêmes esthétiques de pochette de groupes de pop californiens blêmis aux filtres Instagram



S'il est évident qu'un journal qui apprend à évoluer selon les mutations de la société et à remettre en question son découpage est un journal intelligent (en atteste le nouveau rubricage de Courrier International), il m'apparaît en revanche regrettable que la presse ne prenne pas davantage de risques « identitaires » (en atteste sa nouvelle maquette, tiède et attendue).

Ma question est simple : à quand une presse qui ose, se ré-invente et prescrit elle-même plus que ne cherche à s'insérer dans une case esthétique déjà établie ? Il me semble que l'habillage d'un journal est aussi important que son contenu, et qu'avoir peur de créer des « objets » (au sens « ah ce fanzine, quel OBJET ! »), c'est risquer de s'effacer dans une certaine morosité. Ce qui est un peu dommage, pour un métier qui se prétend 4e pouvoir, et donc, par définition, progressiste.*

*Les mooks sont quelques uns à échapper à cette logique d'uniformité visuelle, à l'instar du Tigre et de L'Impossible, qui ont choisi d'oser une mise en page différente. Faut-il seulement préciser qu'il est regrettable que ce parti pris esthétique ne touche que les publications « de librairies », dont la place sur le marché abonde déjà dans le sens d'une différenciation avec ce qui se fait « en kiosque » ? 

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