Luka Rocco Magnotta a aussi dépecé les étudiants québécois

Alors, OK, c'est pas tous les jours qu'un fait divers aussi « coloré » (l'équivalent journalistique du terme « pêchu » pour les publicitaires) survient : un acteur porno et mannequin canadien a dépecé son petit ami et envoyé un pied et une main de ce dernier par la poste, respectivement au siège du Parti Conservateur et du Parti Libéral. Fin mai, il demeurait introuvable. Jusqu'à ce que l'on pense l'avoir localisé à Paris il y a quelques jours, puis mette finalement un terme à sa cavale à Berlin, hier. Soit.

Niggas in Paris

On explique souvent la raison d'être des faits divers par le raisonnement suivant : pointer leur état d'opium du peuple comme argument pour les évincer des médias reviendrait immanquablement à imposer un début de « hiérarchie officielle » dans les informations méritant d'être traitées. Or, toute affaire publique mérite d'être relayée puisque tout citoyen a le droit d'être informé sur le monde qui l'entoure.
À cela s'ajoute le capital « accompagnement du deuil » inhérent au fait divers : ainsi, dans le cas d'homicides, les familles des victimes pourraient se sentir aidées par le processus de médiatisation du drame, processus qui jouerait le rôle d'une « reconnaissance publique » des faits. Voilà. Ça, c'est la légitimation en théorie.

En pratique, en présentant l'avantage d'être hors normes et insolites (donc distrayants), les faits divers oeuvrent sévèrement à détourner les citoyens des affaires publiques et problématiques moins soumises à la contingence.

L'affaire du dépeceur de Montréal en est un bon exemple. Ainsi, en 24 heures, plus de 1300 articles y ont été consacrés dans 40 pays.

Sachant qu'il aura fallu plusieurs semaines au Printemps Érable pour agréger 3000 articles (la moitié de ce qu'a provoqué Magnotta, donc) dans 77 pays - selon The Canadian Press (l'équivalent canadien de notre AFP)… on peut dire que le lugubre acteur porno a bien réussi à niquer les étudiants québécois manifestant contre la hausse des frais de scolarité (lesquels jouissaient pourtant d'une bonne médiatisation).

Au niveau national, la grève des étudiants a perdu 34% de couverture médiatique par rapport à la semaine dernière. (Influence Communication)

Alors ? Que faut-il faire pour infléchir l'ordre invisible des médias et les prier de ne pas tomber dans la sur-médiatisation d'un fait divers glauque aux dépens d'une marquante mobilisation citoyenne ? 

Ironiquement, je conseillerais bien à nos frondeurs québécois de mettre un peu plus en avant leur Gabriel Nadeau-Dubois, vous savez ce leader de syndicat universitaire…

… que la BBC compare à Ryan Gosling. 

Quitte à exciter les plus bas instincts : autant remplacer la fascination pour le sordide par l'excitation du people, n'est-ce pas.