28/02/2012

Deux ou trois choses que je sais de la dette

La dette. Entité mystérieuse qui plane sur le monde, fait frissonner l'opinion publique en même temps qu'elle se banalise (« puisqu'elle ne semble épargner aucun pays, hein... »)

On en verrait la couleur que dans quelques mois, à coup de restrictions budgétaires et émiettements de nos politiques sociales. Il faudrait pourtant la craindre dès aujourd'hui, l'abattement des cartes suivant toujours la logique des dominos.

Faut-il démystifier la dette en la vulgarisant ou en arrêtant d'en parler en des termes post-apocalyptiques ? Je crois en tout cas qu'il faut la relativiser. Voici deux ou trois choses que je sais de la dette - et que l'on ne dit pas assez.

1. Le FMI ≠ Dieu

Et encore, Dieu n'existe pas.

Présenté comme l'instance internationale incontournable, le Fonds Monétaire International, comme l'Union Européenne, n'est jamais remis en question par la société civile. Peur de s'opposer à une bureaucratie dont on ne comprend pas tous les rouages ou suivisme de la vie quotidienne ?

Dieu le père - Véronèse
Dans cette interview consacrée à Libération, Roberto Lavagna, ancien ministre de l'économie argentin,  explique comment il a réussi à sortir son pays de la crise en se passant des services du FMI. Et l'homme d'exhorter la Grèce à en faire autant.

Et si le FMI, trop systématiquement envisagé comme la charpente de l'économie mondialisée, n'avait pas le monopole de la raison ?

L'institution internationale dont le rôle est de « promouvoir la coopération monétaire internationale, de garantir la stabilité financière, de faciliter les échanges internationaux, de contribuer à un niveau élevé d'emploi, à la stabilité économique et de faire reculer la pauvreté » tire évidemment sa légitimité de l'expression d'une voix homogène. Et si cette voix homogène était pensée unique ?

En effet, sont reprochés au FMI  :
- le fait de toujours proposer le même type de solutions (privatisation et ouverture sur le marché extérieur) aux pays, et ce sans tenir compte de leurs spécificités et structures
- l'obsession pour la stabilisation des monnaies (au détriment des politiques sociales liées au chômage) : c'est notamment ce que regrettait James Wolfensohn, président de la Banque mondiale, dans son discours du 6 octobre 1998
- la croyance dogmatique en l'autorégulation des marchés
- l'ingérence (selon l'économiste américain Joseph Stiglitz, le FMI est une institution au service de son principal actionnaire, les États-Unis) et donc la perte de souveraineté des États (certains pans entiers de leur économie leur échappent)

Que recommander à la société civile et à la sphère médiatique ? De ne plus considérer le FMI comme le messie. Que conseiller au FMI ? De lire un peu de Keynes, certains grands soirs.


2. Cachez cette dette que je ne saurais voir (ou « ceci n'est pas une dette »)

Alors que l'Allemagne vient de se positionner contre l'augmentation de l'aide européenne à la Grèce, un vieux dossier ressort de derrière les fagots : la dette allemande envers la Grèce. En effet, cette dernière réclame à la République fédérale une « réparation » pour le massacre de Distomo, un village près de Delphes où 218 habitants furent assassinés par les SS en 1944) [Lire Dette : le chassé croisé germano-grec, article de la Gazette de Berlin publié cet été) 


« Les Allemands, qui rechignent à financer un second plan de sauvetage pour la Grèce, devraient se souvenir de tout ce qu'ils ont pillé dans ce pays pendant la Seconde Guerre mondiale [...] Avec les intérêts, ce sont 81 milliards d'euros qui sont dus à Athènes. C'est là une autre façon de voir l'Europe et son histoire. »
[Daniel Cohn-Bendit, mercredi 15 février au Parlement Européen]

Mais cette dette « morale » a t-elle son pendant « légal » ?

Tout porte malheureusement à croire que non. Et ce, pour 2 raisons :

- Après la guerre, les États-Unis ont dissuadé les pays bénéficiaires du plan Marshall de réclamer réparation, arguant notamment que la réclamation serait re-discutée lors de la réunification de l'Allemagne. La logique « Chaque chose en son temps », quoi.

- Plus tard, le chancelier Helmut Kohl, bien renseigné, a obtenu du traité de Moscou (1990) entérinant la réunification qu'il ne soit pas estampillé « traité de paix ». Or, cette mention est la condition sine qua non pour les remboursements. En approuvant le traité de Moscou, la Grèce aurait perdu toute légitimité à réclamer réparation.

- Jean Fouquet


[Lire l'Allemagne a t-elle une dette de guerre envers la Grèce ? article du Monde daté du 17 février]
En bref


Le FMI n'est pas Dieu et l'État allemand n'est pas miséricordieux.

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