20/05/2011

Lars von Trier et la pudibonderie bien pensante de la France


Qui craignait que le festival de Cannes ne soit trop lisse cette année ? La quinzaine du cinéma vient d'avoir sa petite polémique : à la suite de propos tenus sur Hitler hier, Lars von Trier a été déclaré persona non grata sur la croisette aujourd'hui.

« Le Conseil d'administration condamne très fermement ces propos et déclare Lars Von Trier persona non grata au Festival de Cannes, et ce, à effet immédiat », indique la direction dans un communiqué. Elle a précisé que cette sanction n'excluait pas le cinéaste de la compétition officielle pour la Palme d'Or.


Puisque dans le jeu nauséabond du politiquement correct franco-français, il faut se la jouer didactique, alors jouons la didactique :
certes, toute déclaration qui touche à un événement historique ayant causé un nombre conséquent de morts est, de fait, délicate. Mais dire que l'on "comprend" une personne revient-il nécessairement à dire qu'on est solidaire de ses actes ? Qu'a fait Lars von Trier ici, à part exprimer une empathie pour un personnage historique (Hitler) et une réserve face à la politique d'un pays (Israël) ? Rien de plus, quoique supposent l'exclusion du réalisateur de la Croisette et l'omerta des médias français sur le sujet.

Est-ce alors la forme du discours, qu'il faut lui reprocher ? Même pas. Lars von Trier livre le texte, et l'explication de texte : une certaine présence d'esprit de dernière minute le pousse à prendre des pincettes et le conduit instantanément à édulcorer son discours (« je suis avec les juifs », « Hitler a fait beaucoup de mal », « je ne suis pas pour la Seconde Guerre Mondiale, bien entendu »), et à recentrer son propos sur l'architecte, prenant de suite bien la peine de préciser que ce dernier n'était pas un homme "bon" mais "a fait du bon travail".

Patatrac, il était déjà trop tard : les petits soldats du nouvel ordre moral, ni une ni deux, lui sont tombés dessus.

La diabolisation, réaction passionnelle spontanée, et l'application d'une grille de lecture manichéenne sur l'Histoire, sont les attirails de prédilection d'une analyse enfantine du passé. Empathie et recul sont les outils nécessaires à une juste compréhension du monde et de sa complexité.

Cette dialectique commence par la tentative d'envisager les plus grands bourreaux de l'Histoire comme ce qu'ils sont à l'origine : des êtres humains, avant des "monstres".

Quid de l'habituel tatillonnage médiatique ? Incohérence de la critique et fumisterie du politiquement correct. La sortie de Lars von Trier est à replacer dans le contexte d'une question portant sur "son goût pour l'esthétique nazie". De fait, elle n'avait pas vocation à commenter "le Hitler des camps de concentration", stricto sensu. Le réalisateur danois faisait référence à Adolf plus qu'à Hitler : autrement dit, une figure politique qui après avoir été le chantre intouchable du nazisme, est revenu à sa condition originelle, celle d'un homme, seul dans son bunker pendant que le monde s'écroule autour de lui par sa faute, en proie à ses faiblesses, face à ses propres contradictions - un homme déchu, en somme. Ce qui n'est pas une vision plus outrageante que celle que dépeignait déjà un film comme La Chute ou une exposition comme "Hitler und die Deutschen", qui n'ont fait sourciller presque personne.

Si la police bien-pensante empêche de penser à un tyran en ces termes, qu'elle rende intelligible son discours et se plie à sa propre cohérence en supprimant des émissions comme Faîtes entrer l'accusé, qui font l'apologie d'une considération de la psychologie du tueur. L'argument est trivial, mais il est à la hauteur des bassesses de la basse cour médiatique française où le conformisme caquette.

Mais le plus désolant dans cette histoire, c'est vraisemblablement qu'à force de gesticuler dans tous les sens à la moindre pique anti-sioniste, on travaille lentement mais sûrement à rendre inaudibles les vraies déclarations fascisantes.

En bref, s'il vous fallait une énième preuve que la société aime plus l'illusion de la provoc' (Guillon, Le Grand Journal et le reste du conglomérat bobo) que la provoc' elle-même, vous pouvez passez à table. Le repas est servi.

23 commentaires:

gilmor a dit…

Un mot: merci !

CPS a dit…

Il dit quand même à la fin : "je suis un nazi". Qu'est ce qu'il te faut de plus ? Une lettre recommandée attestant qu'il est en faveur des camps de concentration et que sa devise est : "Arbeit macht frei " ?

Non je déconne. Effectivement ses propos n'ont rien de choquant. Je pense qu'en se rendant compte qu'ils pouvaient l'être pour certains, il s'est maladroitement enfoncé. En se défendant, il a pris de la distance par rapport à son propos et l'a rendu condamnable.

Et oui, aussi étrange que cela puisse paraître, un homme abjecte peut être un grand homme. Hitler, Pinochet, Staline, Dieudonné, Bush sont des génies (du mal). Pour les Bush je retire en fait, j'ai du mal à les imaginer en génies.

Pas de bol Lars, j'irai quand même voir ton film !

Luc a dit…

Un pavé dans la marre

jo a dit…

Hitler, Pinochet, Staline, Dieudonné... Qu'est ce qu'il faut pas lire sérieux.

CPS est anti bien pensance, mais pas trop quand même, faut pas abuser...

Elise a dit…

Que dire, si ce n'est " merci d'avoir eu le courage et pris le temps " d'écrire cette tribune. Je n'ai vu pareil argumentaire nulle part dans la presse et cela m'a chagriné. Tu rectifies le tir.

Anonyme a dit…

Nan, mais tu dois lire encore, je veux dire, cupcake. La provoc' ?

Anonyme a dit…

Chouette nom de groupe "cupcake. La provoc'"

Connarnonyme

Claire S a dit…

MERCI

xx a dit…

Une blague sur Hitler lors d'une conférence de presse n'est jamais la bienvenue. Bien pensance ou pas, Lars von Trier est allé trop loin dans la provocation. Il devrait s'avouer au moins satisfait que son film reste en compétition.

EXCLUSIF! a dit…

Exclusif ! Le groupe The XX parle non seulement français, mais en plus, livre sans concession sans soutien à l'équipe de Cannes dans un thread de commentaires sur Pensées Plastiques !

The XX envisagerait-il une reconversion dans le cinéma ?

Hugues a dit…

"Mais le plus désolant dans cette histoire, c'est vraisemblablement qu'à force de gesticuler dans tous les sens à la moindre pique anti-sioniste, on travaille lentement mais sûrement à rendre inaudibles les vraies déclarations fascisantes."

Très juste. Et bien formulé, qui plus est.

LP a dit…

Si pareil propos avaient été tenu sur Staline ou Mao, la bien pensance ne serait pas emballée

Voilà la vérité

Marine a dit…

Courageux d'avoir écrit ce papier..
J'espère en tout cas qu'il ne remettra pas en cause ton accred au prochain festival de Cannes, car cette fois ci, je veux t'y voir ma belle :-)

Alex a dit…

J'applaudis à 2 mains.

Anonyme a dit…

Une pierre?
Allons-y direct alors..
: "...Mais dire que l'on "comprend" une personne revient-il nécessairement à dire qu'on est solidaire de ses actes ? ..." >>> Je pense avec une certaine retenue que oui.

En affirmant que tu "comprends" les membres du Ku Klux Klan , je pense que tu es au moins legerement en accord avec leurs actes (c'est bien leurs actes qui les definis en tant que "personnes" historiques) tu peux donc ensuite affirmer que leurs actions sont "bonnes" ou "mauvaises" ça ne change pas grand chose d'avoir conscience du bien et du mal.
Les pires dictateurs ou tueurs doivent certainement savoir que leurs actes sont "mauvais", il n'empeche qu'ils trouvent une raison superieure à leurs yeux pour les justifier...

Lars Von Trier expose en premier, avec une certaine ironie desabuse qu'il y a des categories de juifs (comme dans chaque religions, tout le monde est au courant de ces categories et chaqun a le droit d'en avoir son avis).
Il fait ensuite l'avoeux d'etre fils d'allemands (sous-entendu vivant en allemagne en periode de guerre), et en deduit qu'il est donc nazi ..ce qui provoque chez lui une certaine fierte, un certain plaisir (de ne pas etre juif).. <<< il ne parle donc pas de psychologie, d'etres humains, ou meme d'architecture. Il ne dit pas non plus etre simple fils d'allemands (puisqu'il y avait des juifs allemands), il dit clairement que ses parents etaient "..probablement" antisemites.

Il enchaine donc sur son : je "comprend" Hitler.
Il explique par là qu'il comprend "l'homme historique" ET ses idees!
Il affirme qu'il ne CAUTIONNE PAS l'aplication meurtriere des idees d'Hitler, mais il est tres certainement d'accord avec "le probleme du peuple juif" et de ses religieux.
- C'est certainement là qu'il imagine "l'homme" Hitler, dans son bunker seul face à son carnage, face à l'application de ses idees, l'homme face au monstre. -
Mais en poursuivant sa declaration avec "..Je suis tres en faveur des juifs!...non pas trop parcequ'Israel pose quand meme certains problemes..". Il exprime là son desaccord envers le sionisme, et confirme donc son probleme envers ce peuple.

Lars Von Trier est un provocateur, il a toujours voulu l'etre et le revendique dans chacune de ses oeuvres.
Mais cette intervention qui fait suite à une precedente à propos de l'architecte Speer dans un article Danois, plus sa courte intervention (non-souligne) lors d'une autre entrevue à Cannes ( http://festival-cannes.canalplus.fr/festival-cannes/bonus-et-interviews/interviews/melancholia-interview-equipe-du-film.html ) laisse quand meme flotter une efluve nauseabonde d'antisemitisme au dessus de lui.

Anonyme a dit…

(suite)
S'est -il inspire des precedentes declarations du createur Galliano pour faire à son tour une explosion mediatique?
Nous pouvons imaginer mille choses sur ses motivations. Antisemitisme? Coup de pub / provocation? Prouver que le sionisme est assez puissant pour le faire taire, et par la meme pointer du doigt certaines inegalites politiques?

Toujours est-il qu'il s'est clairement rejouit d'etre le premier et le seul à s'etre fait remercier du festival.

Pour finir mon jet de pierre sur ton edifice, je ne te reproche pas ton approche agacee et irritee de cet "ordre-moral" puisque tu as raison sur une grande partie.
Cependant je pense que tu t'es tout autant laisse emporter par tes reactions passionnelles spontanees et ta rebelion contre "l'application d'une grille de lecture manichéenne sur l'Histoire".

: "...Le réalisateur danois faisait référence à Adolf plus qu'à Hitler..." Mon pave ci-dessus affirme que tu te trompe, le realisateur faisait reference à Hitler l'homme politique et à Speer en tant qu'architecte -et meme si les realisations de Speer ont fait durer la guerre plus longtemps et offert plus de pouvoir à Hitler, seuls ses creations sont traites dans les propos de Von Trier-
Ce n'est donc pas outrageux de faire reference ou de se mettre à la place d'Hitler "l'homme"...il y à d'ailleurs beaucoups de documentaires et autres analyses de sa vie!
Comment il est passe de l'homme au monstre.
Tout ces documentaires ont ete crees dans le but de montrer au monde ce qui est mal dans son sens le plus profond. Tout comme les documentaires sur Lecter, Simmons, ou certains pedophiles..

Là ou je te donne mille fois raison, pas besoin d'en ajouter mais juste à te citer : "...Mais le plus désolant dans cette histoire, c'est vraisemblablement qu'à force de gesticuler dans tous les sens à la moindre pique anti-sioniste, on travaille lentement mais sûrement à rendre inaudibles les vraies déclarations fascisantes..."

Bien à toi,
.Un proche proche de Fanny.

Victor a dit…

Anonyme, tu parles d'"une efluve nauseabonde d'antisemitisme" qui flotte au dessus de LvT.

Rien n'est en vérité moins sûr à partir du moment où il commence par dire "je croyais que j'étais juif. j'étais content d'être juif"

Ce qui est sûr, c'est qu'il est maladroit dès lors qu'il parle d'être content d'être juif mais d'être aussi (ou plus content encore, là est le point sensible qui fait débat) d'être allemand.

De là à l'accuser d'antisémitisme ? Clairement non

Anonyme a dit…

Victor, je n'ai pas dis qu'il ETAIT antisemite...J'ai dis qu'un doute (antipathique) d'antisemitisme planait au dessus de lui, et de ses propos.
Evidemment pour Israel et toutes les personnes qui ont connus directements les propos alambiqué et malicieux du parti nazi, la moindre reference aussi infime soit-elle prette a porter son attention (et sa censure). Comme toute allegation raciste devrait l'etre d'ailleurs!

Lorsqu'il parle de sa soit-disant judeite c'est clairement une blague, une façon de plus de souligner les differences existantes dans une meme religion et la presence internationnale du Sionisme.
Parceque s'il se croyait juif avant 1990, il etait soit pratiquant (en affirmant qu'il aurait ete un juif de seconde zone, il affirme par là qu'il ete non-pratiquant) soit juif par heritage (Je pense donc qu'il "affirme" se croire juif par heritage).
Et en decouvrant vers 90 que ses parents etaient allemands, il affirme donc qu'il a DECOUVERT ses origines (et non RE-decouvert)!
Pour moi avec une certaine retenue, je pense qu'il ne s'est jamais cru juif et que ce debut de phrase n'est qu'une provocation de plus, une entree en matiere..

Quant à sa maladresse verbale, je ne pense pas non-plus que ce soit le cas. Lorsque l'on fait trois declarations plus ou moins remarques (et il y en a peut-etre plus) ce n'est pas de la maladresse.
Certes il est hesitant, provocateur, mais pas maladroit! (et donc certainement pas antisemite non-plus)

Anonyme a dit…

Très courageux ton post. bravo

Céline a dit…

Cette dialectique commence par la tentative d'envisager les plus grands bourreaux de l'Histoire comme ce qu'ils sont à l'origine : des êtres humains, avant des "monstres".

< completement d'accord

Anonyme a dit…

Le "nouvel ordre mondial" c'est un truc très facho.

Sinon oui.

Anonyme a dit…

Le "nouvel ordre mondial" c'est un truc très facho.

Sinon oui.

Lise a dit…

le nouvel ordre MORAL, on a dit