11/12/2012

Arrêtez d'acheter ELLE magazine

« J'ai acheté le dernier ELLE, mais c'est juste pour le feuilleter dans le train », « ELLE ? Non, je suis pas une lectrice régulière, c'est juste pour avoir une connerie à lire sur la plage, là »




Ces phrases, je les ai souvent entendues. À commencer parce qu'elles sont un jour sorties de ma bouche - oui soyons honnêtes. 

Certains soirs, il m'arrive de penser à toutes ces nanas qui ne lisent pas vraiment ELLE. Les filles : vous êtes des milliers tous les jours. Des milliers à avoir un Paris-Lyon dans la matinée, un rendez-vous chez le dentiste, un baby-sitting qui s'annonce chiant à mourir, un café à prendre avant de rejoindre des potes, une journée fatigante et la fulgurante envie de « lire un truc pas cérébral ».

Vous êtes des milliers comme il y a des milliers d'excuses, des milliers de raisons de « passer au Relay et acheter une merde ». Je comprends. Mais j'ai une meilleure idée : gardez vos 2 euros ou achetez vous un Mars. 

Il y a 2 ou 3 ans, j'ai décidé de ne plus faire partie de ces milliers de lectrices pas vraiment lectrices. Est-ce que cette décision a quelque chose à voir avec ce jour où j'ai été reçue en entretien chez ELLE Belgique pour un stage, et qu'une simple rencontre avec les journalistes de la rédaction m'a donné un aperçu plus probant de ce que « la presse » voulait dire pour ces gens-là, à savoir « disserter de la vie des célébrités et chroniquer des produits de beauté en s'assurant de ne jamais froisser les marques émettrices » ? J'ai refusé le stage, et ce n'est pas sur cette naïve expérience de jeunesse que je vais m'attarder aujourd'hui : la presse féminine de flatterie marketing ne s'incarne pas qu'en la figure de ELLE, et il faudrait également citer Grazia, Biba et autres publicités imprimées sur papier glacé pour que le procès soit équitable.

Alix Girod de l'Ain, éditorialiste de ELLE magazine, « frivole mais pas idiote » - Pas idiote, vous avez dit ?


À vrai dire, il est un divertissement plus nocif que les autres et ELLE en fait partie. En s'étant imposé comme le titre de référence en matière de presse pour femmes-modernes-émancipées-et-bien-dans-leur-temps, le magazine ne s'est pas non seulement octroyé un pouvoir prescripteur auprès des brebis égarées, mais aussi un dangereux mégaphone - à clichés genrés et poncifs bien-pensants. Autant d'opiniâtretés et stéréotypes aussi blancs que petit-bourgeois

Compilation des derniers grands scandales de ELLE sous forme de revue de presse, autant de raisons de ne plus donner 2 euros à cette machine de guerre rétrograde, orgueilleuse et patriarcale.


LOL


1. L'impérialisme néocolonial sous couvert d'humanisme et de féminisme

« Cette semaine, le magazine "Elle" annonce le départ de deux de ses collaboratrices de longue date, Marie-Françoise Colombani et Michèle Fitoussi. Dans son éditorial, sous le titre Elles nous ont donné des ailes, Alix Girod de l’Ain raconte le pot de départ : 
A un moment, quelqu’un a lancé : « Mais qui va garder les Afghanes ? » Et c’est vrai que, depuis trente ans, Marie-Françoise et Michèle n’ont pas seulement formé des dizaines de journalistes, elles ont dédié leur force, leur énergie et leur intelligence pour la cause de toutes les femmes. Certes, leur collègue qui signe ces lignes a plus souvent manifesté sa vocation de « clown de bureau » que de figure du combat féministe, mais elle voudrait aujourd’hui se faire la porte-parole de toutes ses consœurs – et confrères ! ce qui est rare nous est cher ! – pour leur dire merci et bravo. Et les assurer, le plus sérieusement, le plus tendrement du monde, d’une chose : promis, Marie-Françoise et Michèle, on gardera les Afghanes. 
Certains ont les bébés phoques ; chez "Elle", on a les femmes afghanes. Seule le "clown de bureau", en effet, pouvait sans doute résumer - avouer - avec une telle ingénuité le regard à la fois spectaculairement ignorant et condescendant qu’elle et ses collègues posent sur leurs "protégées" de prédilection (en 2001, le magazine s’était payé un joli coup de pub en mettant en couverture une Afghane en burqa). »

2. La tentative (sexiste) de normer la sexualité des femmes
« Dans cet article, la glorification de la pipe impose une vision de la femme "so 2012", soit une ménagère dévouée à son mari, ne rechignant pas à lui offrir une petite gâterie, mais attention, lorsqu'elle s'y attèle, c'est toujours calculé. 
Parmi les pépites du genre, Adèle 39 ans, déclare : "Une bonne pipe, c’est très efficace en phase de négociations, quand je veux le faire céder sur la couleur d’un papier peint ou sur le lieu de nos futures vacances" ou encore Julie, 35 ans, "No pipe si j’ai un truc à lui faire payer: petite dernière oubliée à la crèche ou tas de linge s’accumulant. Mais fellation à volonté si j’ai besoin de me faire pardonner quelque chose ou de l’amadouer, pour qu’il garde les enfants quand je pars en séminaire !"»

3. Des races et des modes
« C'est le magazine Elle qui nous l'apprend : en matière de mode, en 2012, "la 'black-geoisie' a intégré tous les codes blancs..". D'ailleurs, "le chic est devenu une option plausible pour une communauté jusque là arrimée à ses codes streetwear." Eh oui, tandis que durant des décennies les Noirs se sont habillés comme des "cailleras" à capuche, ils ont enfin compris, grâce à l'enseignement des Blancs, qu'il convenait de faire plus attention à leur apparence. Voilà la teneur d'un article paru le 13 janvier dans l'hebdomadaire préféré des ménagères de la "white-geoisie" (puisqu'apparemment il faut désormais distinguer les bourgeois eux aussi racialement), intitulé "Black fashion power", tentant d'analyser les raisons du succès sur les red carpets de personnalités afro-américaines. »

4. La revendication du droit inaliénable à être une poule

« Pour bien commencer et que tout le monde comprenne, expliquons l’affaire. THE case, voyez c’est genre le gros scandale de la semaine dans la blogo meuf (surtout) : samedi dernier Alix Girod de l’Ain a méchamment raté son édito dans ELLE. Le sujet : cette fameuse case Mademoiselle que les féministes veulent voir disparaître des papiers administratifs. La journaliste a pondu un texte sans intérêt à base de poncifs d’Epinal, de basilic gratos pour clientes flattées et d’incompréhension brutale du statut marital, mais ça aurait pu passer comme une lettre à la Muette si cette idiote n’avait pas terminé par : “Mariées ou pas, jeunes ou vieilles, ce qu’il faut revendiquer, c’est notre droit inaliénable à être des princesses.” Le coup de la princesse, les lectrices et internautes ne l’ont pas digéré. Tant mieux, ça donne quelques très bons posts tels que les suivants… »

Injonction au jeunisme, apologie de la minceur, conseils bourgeois, suivisme de tendances… Si vous en aviez déjà assez des prescriptions dictatoriales de ELLE magazine, joignez l'action à la parole et ne cautionnez plus le succès économique de ce torchon à inepties. Pas seulement parce que cette presse de divertissement fonctionne comme l'ambassadrice de marques tyrans, mais surtout parce que son apolitisme revendiqué lui permet trop souvent de se faire le messager d'abjects lieux communs aussi pernicieux que nocifs.

Je vous laisse ici, j'ai un Mars à manger. 

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Elle, la littérature préférée des trentenaires bobo à la ramasse. Prix de l'année.

Marie a dit…

Difficile de ne pas tomber dans les insultes face à cette Alix Girod de l'Ain. Je me facepalm à chaque fois que j'ai un Elle dans la main....

Luc a dit…

Ma copine est abonnée.
Donc je le lis sur mes chiottes.
A chaque numéro, je suis épaté : elles arrivent toujours à faire mieux par rapport au précédent sur l'échelle des valeurs conservatrices. Toujours sous couvert de conseils de beauté et diktats de la mode auxquels tu peux soit disant pas échapper. Ma copine le lit pour se mettre dans le fait des tendances mais je suis sûr qu'au fond ce truc ne lui apporte rien. ON VA EN DISCUTER CE SOIR, ALLEZ.

Mélanie a dit…

Et la faculté à faire une page "Bien dans ses rondeurs" derrière "votre régime de l'été/noël...". Il faudrait aussi en parler. Crédibilité ZERO.

Stef a dit…

Synchronisation des monstres : ce weekend j'ai jeté tous les Elle amassés en 2006/2007 parce que j'étais abonnée. A mieux y réfléchir, j'aurais peut-être dû les garder : j'ai plus de PQ !

Stef a dit…

(et post très cool et très bien écrit au fait, comme d'hab)

Anonyme a dit…

Excellent article !
Aussi cet usage d'une sorte de Novlangue Franglais bien bien irritante. Glamour sont aussi des spécialistes de cet espèce de jargon grotesque.

Claire B a dit…

Excellent réquisitoire !
Voilà autre chose qui pourrait t'intéresser, de bon matin... http://www.acrimed.org/article3955.html

Verdoyance a dit…

Clairement, tu as raison. J'achète Elle uniquement pour postillonner de colère dessus, et pourtant je l'achète toujours. C'est machinal, dès que j'ai plus de 2h de trains à faire, je vais au kiosque et je me prends le truc le plus abrutissant (comprendre, au moment de l'achat, dans ma tête : "divertissant") parce que j'ai envie de me détendre.
A l'arrivée, suis-je vraiment détendue ? Ai-je vraiment envie de mettre 2 euros (enfin, c'est pas tant le prix qui compte que la valeur symbolique, le fait même de foutre de l'argent là d'dans) dans un magazine qui n'est pas seulement odieux (apologie de la minceur, sélection déco à 10 mille lieux des vrais budets, etc) mais surtout, comme tu le montres très bien dans ce post, DANGEREUX par son racisme ordinaire, tentative de normer la sexualité des femmes, esprit colonial et j'en passe ?
Au regard du peu de divertissement que m'apporte ce magazine, autant décider officiellement de ne plus l'acheter, de ne plus le cautionner. C'est un acte militant, à l'échelle de mes achats de journaux évidemment, mais militant quand même.
Bref, je me parle à moi même et ne dis rien de plus que ce que tu dis déjà (très brillamment par ailleurs) mais merci Émilie pour ces textes toujours très éclairés et agréables à lire.

Manon a dit…

On pourrait également lister toutes les fautes commises par d'autres magazines plus "sérieux". Aucun magazine n'a une ligne éditoriale parfaite (exceptée Causette mais ce magazine reste hors norme), mais peut-être essaie-t-il ?

Il souhaite peut-être insuffler un peu de légèreté dans nos vies ?

Tu le trouves réellement sexiste ? Je trouve qu'il reflète plutôt bien la société actuelle avec son émancipation féminines mais également ses valeurs conservatrices où nous nous enfermons parfois nous même...

Emilie a dit…

Manon > Je suis de ton avis quand tu dis que rares sont les magazines à la ligne éditoriale irréprochable (sachant qu'en plus, il n'y a pas de version universelle et unanime de « l'irréprochabilité ») (je trouve par exemple que Le Monde Diplomatique est une vraie délectation, mais n'aurais sans doute aucun mal à trouver un banquier ultra-libéral pour qualifier ce titre de raccoleusement de gauche).

Mais là où je trouve le magazine ELLE plus dangereux que ses confrères de presse féminine, c'est qu'il distille assez régulièrement des grosses bourdes - tantôt frôlant le racisme ordinaire, tantôt une police de la pensée (cf. l'article « la pipe, ciment du couple » qui offre une vision peu libérée de la femme : 1. celles qui ne s'adonnent pas à la fellation sont rétrogrades, 2. celles qui sucent le font forcément pour convaincre leurs partenaires ou se faire pardonner).

Ce n'est donc pas tant une histoire de progressisme mêlé à du conservatisme encore latent… qu'un sérieux problème d'idées nauséabondes sous couvert de modernité. Je sais pas si tu vois ce que je veux dire ?

Les 4 polémiques citées dans ce billet, pour moi, sont de l'ordre de l'impardonnable plus que de contradictions dont nous sommes tous constitués (je concède volontiers par exemple être libertaire dans mes idées mais très vieux jeu en amour). C'est en ça que je trouve ELLE clairement détestable.

Gotemar a dit…

Merci pour cette article !
Je me pensais seule à fulminer devant la connerie d'Alix Girod de l'Ain qui a vraiment fait de la merde avec ce magazine (les pseudo "articles" ou "chroniques" du docteur Aga (sic) sont les pires choses que j'aie lu de ma vie).
De voir le départ de deux bonnes journalistes du magazine me fait vraiment mal au coeur.