21/11/2012

Lettre à Jean-Paul Ney, l'homme qui pense que la Palestine est « un produit dérivé des antisémites »

N.B : Twitter est un réseau social que vous jugerez bien inutile si vous ne désirez communiquer pour les besoins de votre profession, suivre vos personnalités préférées ou vous engager dans une énième activité chronophage. Mais à bien des égards, Twitter est aussi une espèce de laboratoire de sciences sociales inédit en ce sens qu'il permet, si vous avez la patience de vous immiscer dans les méandres des joutes verbales et cris du cœur virtuels, de se renseigner sur ce que la rhétorique et le partisanisme ont parfois de plus narquois. Pour aujourd'hui, Jean-Paul Ney est mon petit rat de laboratoire. Emmenée au hasard d'un clic vers son compte, j'ai eu le plaisir de tomber sur ce que le sionisme indéfectible a de plus morbide. Monsieur Ney, « grand reporter » mais aussi (malheureusement pour ses étudiants) « prof de journalisme à l'IEJ et à l'ESJ » distille depuis hier, sur son petit espace d'expression, une succession de couinements pro 'hiérarchie des victimes' qui s'apparente surtout à une tentative de discréditer l'ensemble des sympathisants palestiniens. Ses déclarations n'ont pas manqué de choquer plus d'un internaute, dont je partage la colère et la sidération. Mais plutôt que de céder à la tentation d'une argumentation en 140 signes rédigée dans l'emportement, j'ai décidé de prendre mon temps pour lui répondre.

Cher Monsieur Ney, 

Que l'on se mette d'accord d'entrée de jeu : ces quelques mots ne s'adressent pas uniquement à vous, mais aussi à l'ensemble des personnes qui usent de procédés argumentatifs similaires à ceux dont vous nous avez fait cadeau hier. C'est à ces grands pourfendeurs de géants que j'écris aujourd'hui, et puisque vous en êtes le porte-parole qui a le plus fraîchement croisé mon chemin, c'est à vous que je destine ces lignes.

Vous vous plaignez d'une sur-couverture médiatique du conflit israélo-palestinien en ce moment. Pendant que les frappes aériennes pleuvent sur Gaza, vous notez que la liste des morts en Syrie continue à se rallonger. Vous déplorez 'l'obnubilation' des journaux français pour la Palestine :


Au lieu d'appeler sereinement à ce que l'on n'oublie pas trop vite les autres conflits sur terre au profit d'une couverture médiatique monomaniaque (ce qui semble être la base de votre doléance), vous sombrez dans une tentative de hiérarchiser les bains de sang de ce monde. Pire encore : dans votre classement, Gaza ne compte même plus, puisque « vous vous en cognez ». Au moins, c'est sûr, on ne pourra pas vous reprocher d'être cryptique.

Monsieur, les injustices ne se curent pas par d'autres injustices, même lorsqu'elles ont la vanité de la colère. Si je suis d'avis que la presse empoigne souvent les sujets un par un selon un certain calendrier médiatique vendeur et qu'il est regrettable, par exemple, de délaisser complètement la Syrie au moindre jour de match de foot ou concert de Lady Gaga, je ne comprend pas l'intérêt de cracher son venin sur Gaza - théâtre de tensions politiques depuis maintenant 6 décennies, surtout à un moment où les offensives (dont les civils font de plus en plus les frais) ont repris de plus belle. 

À vrai dire, quand j'affirme ne pas comprendre l'intérêt de votre entreprise, je ne fais que céder à une coquetterie de langage. Car l'intérêt que vous avez à discréditer cette couverture médiatique - et je vois très bien où vous voulez en venir, est tout à fait politique et populiste. Il suffit de jeter un oeil à cet échange que vous avez eu avec un autre internaute :


Selon vous, la Palestine est une invention des antisémites, lesquels font mine d'être antisionistes pour mieux s'habiller en société. Encore un peu, et on vous entendrait dire que les militants pro-palestiniens sont tous, à l'unanimité, de sanglants mercenaires rêvant à un nouvel Auschwitz. Mais pour oser tenir en public les propos que vous tenez, on se gardera bien d'imaginer ici ce que vous devez bien être capable d'asséner à l'heure des olives et des cacahuètes.

Une rapide recherche Google m'indique que vous êtes un journaliste qui a déjà passé du temps auprès de Tsahal pour les besoins d'un reportage. Je me permets donc de m'étonner que ce voyage en Israël ne vous ait pas également fait rencontrer des juifs anti-sionistes, une frange de la population encore minoritaire mais qui tend de plus en plus à se manifester. Mais même sans aller jusqu'à regretter que vous n'ayez vraisemblablement jamais rencontré de contre-exemple parfait  à votre postulat « pro-palestiniens = antisémites déguisés », je me désole de vous voir discriminer d'un revers de main aussi sec l'ensemble des militants apaisés qui essayent tous les jours d'extraire le conflit de ses contingences raciales et identitaires. La purulence de vos propos écrase à grosses semelles le travail quotidien de ces patients fossoyeurs de manichéisme. Un manque de respect inouï, qui trahit chez vous un goût pyromane pour « l'huile sur le feu ».



Vous comparez également la couverture médiatique du conflit aux États-Unis et en France, notant qu'outre-Atlantique, Gaza ne fait pas autant couler d'encre que par chez nous. Faut-il vous rappeler que l'administration Obama vient récemment de déclarer son soutien à l'action d'Israël ? La presse américaine n'a aucun intérêt à disserter du sort des Gazaouis, d'autant que Obama se trouve en ce moment passablement humilié par Netanyahou, qui a poursuivi sans vergogne son programme de colonisation des Territoires palestiniens, et ce, en dépit de la demande du président américain d'y mettre un terme. Netanyahou a d'ailleurs fait campagne en faveur de Romney, et pendant la campagne présidentielle, les républicains ont régulièrement accusé Obama de ne pas afficher un soutien assez ferme à Israël. Dans ce contexte, comparer les deux couvertures est bien peu judicieux; Obama étant à la botte du Congrès, lui-même à la botte de Netanyahou.



Par ailleurs, comment peut-on sérieusement reprocher à l'AFP de couvrir des événements dont le déroulé peut autant infléchir les enjeux d'un des plus vieux conflits du monde ? Conflit dont, faut-il le préciser, les jeux d'alliances géopolitiques supposent à chaque nouvelle échéance, que plus d'une dizaine d'Etats soient concernés ? 

Vous accusez les médias français d'être à genoux devant la Palestine. Mais vous oubliez que chez nous, l'encre a toujours coulé plus facilement à propos du Hamas que du Likoud de Netanyahou. Or, la charte du Likoud ne reconnaît toujours pas l'existence d'un Etat palestinien et affirme que l’implantation est l’expression du droit irréfutable du peuple juif à disposer de la terre d’Israël. Qui plus est, comme le fait sagement remarquer cet article du Huffington Post, la presse a presque unanimement daté le début des violences à Gaza à l'attaque palestinienne sur 4 soldats israéliens, tandis que deux jours avant, un jeune Palestinien de 13 ans a été tué lors d'une offensive israélienne. Vous voyez ? On a les lunettes de lecture que l'on veut.



Pour continuer en dégrossissant le propos, laissez moi citer le député communiste au Parlement israélien, membre du mouvement Hadash, interviewé dans les colonnes de L'Humanité : « Il ne s’agit pas seulement d’un problème entre le Hamas, Israël et l’escalade actuelle, la véritable question reste celle de l’occupation, le fait que les Palestiniens n’ont toujours pas le droit à l’autodétermination en créant leur propre État indépendant". »


Il est évident que le conflit israélo-palestinien ayant plus d'ancrage historique et deux communautés de militants distinctes, il sera toujours plus à même d'être repris dans le débat public que d'autres conflits jugés 'exotiques'. Mais plutôt que de qualifier la Palestine de produit dérivé des antisémites, pourquoi ne militez-vous pas plutôt pour une démocratisation dans les médias de ce qu'il se passe au Congo ? Les projecteurs braqués sur un conflit ne supposent pas la négation d'un autre. Par ailleurs, sachez qu'entre 2500 selon la police et 5 à 7000 personnes selon les organisateurs ont manifesté hier soir à Paris près de l'Ambassade d'Israël en SOUTIEN À L'ÉTAT HÉBREU. Vous pourrez dormir sur vos deux oreilles, la France n'est pas l'enclave de pro-Palestiniens que vous craignez tant. Et si vous vous rendez au siège du CRIF assez tôt aujourd'hui, peut-être pourrez-vous même récupérer un de ces fameux drapeaux « Israël vaincra » pour vous en faire une taie d'oreiller.

(Ce fake de mauvais goût, partagé sur votre compte Twitter, est très grave. La désinformation est une faute, mais quand on porte votre titre de professeur à l'IEJ et à l'ESJ, elle est presque un crime.)

En bref Monsieur Ney, le voile est levé sur votre mascarade : jouer le jeu plaintif de l'empathie pour les « autres » conflits à des fins résolument sionistes. Il n'y a qu'à lire l'ensemble de vos sorties, qui toutes agrégées, révèlent un peu mieux le tableau de votre stratégie. Depuis 7 jours que l'offensive israélienne a commencé, les bombardements ont repris de plus belle et 31 Palestiniens ont été tués hier tandis que deux soldats israéliens perdaient aussi la vie. L'armée israélienne commence donc à enregistrer ses premières pertes tandis que 121 Palestiniens ont déjà péri. Vous qui vouliez entrer dans la dialectique de la hiérarchie, je vous laisse très sobrement avec ces chiffres.

Finalement, sous ses atours d'envolée lyrique, votre rhétorique d'enragé du dimanche ne fait que reprendre deux des arguments poncifs du sionisme aveuglé :
- La plupart des antisionistes sont antisémites (but : se poser en martyr et diaboliser les opposants)
- Il faut moins parler du conflit israélo-palestinien car d'autres conflits existent (but : laisser Israël faire sa cuisine interne)

Ne bougez pas, je vous ai trouvé un ami.



14 commentaires:

Cécile a dit…

On tient là un bel oiseau !

Alex a dit…

Excellente lettre ouverte. Merci ma chère Emilie. Tu as raison de ne pas tomber dans l'injure (pourtant très tentante) face à ce type d'énergumènes. Les insultes sont toujours reprises au compte de l'argumentaire "ah ils sont tous antisémites", donc tu fais bien de ne pas tendre de perche à ce Jean-Paul Ney qui ferait mieux de laisser sa carte de presse et son statut de prof au vestiaire.

Jean a dit…

"Saturation Palestos"
LE MEC EST BONNE AMBIANCE

Jean a dit…

"Saturation Palestos"
LE MEC EST BONNE AMBIANCE

Anonyme a dit…

La vidéo NVB vs. BHL est gratinée....

Jean-Pierre a dit…

Que des étudiants puissent recevoir des enseignements de cet illustre Jean-Paul Ney fait plus que froid dans le dos. On devrait le retirer de ces écoles !

Caro a dit…

Woua tu lui as bien cloué le bec là

Anonyme a dit…

CONNASSE

A BAS LE HAMAS
ISRAËL VAINCRA

sarah a dit…

qui est ce sale type ? de quelle origine / religion est-il ?
jamais vu une merde pareil !
Il s'est permis de porter des propos diffamatoires à mon encontre sur Twitter hier, avec un fake tweet, m'accusant d'être pro-hamas etc..

je pense porter plainte contre lui pour diffamation, fausses accusations, faux et usage de faux (le fake-tweet est grave quand même)

merci pour votre article !

j'espère qu'on arrivera à combattre ce cancer qu'est le naZionisme

Anonyme a dit…

Excellent.

Pr Th. Diafoirus a dit…

Si la personne du Triste Sire vous intéresse, il a un lourd historique. Cherchez un peu, ça vaut son pesant de caviar. Ca fait plus de 10 ans qu'il sévit; et manifestement, ceux qui l'ont bombardé prof de journalisme n'ont pas enquêté comme ils auraient dû.

Toutefois, attendez vous à des manoeuvres du même niveau que les insultes que vous avez lue ci-dessus; il y a des historiques de flood insultants et diffamatoires (et anonymes, bien sûr) sur les sites qui ont eu la "mauvaise" idée de dire du mal de lui.

M. Ney a des amis à son image. Et des méthodes plus que discutables.

En tout cas, merci pour cet article qui de façon général rappelle que l'équation "pro-palestinien=antisémite" est grotesque.

Aurore a dit…

Bonjour,

merci pour cette lettre ouverte qui remet un peu les choses en place et synthétise la situation d'un point de vue français.

Néanmoins (la fille qui titille pour rien), dans un soucis purement de "vocabulaire", j'aimerai souligner qu'il ne s'agit ici pas de "désinformation" (dé-informer signifie absence d'information), mais de mal-information. (je sais c'est moche)

En tous cas merci de continuer à écrire ce blog avec intelligence et régularité, ça fait du bien !

Aurore

Emilie a dit…

Merci beaucoup Aurore !

Cette précision sémantique m'a fait naviguer de pages en pages, et j'y vois maintenant plus clair. Ce document a l'air hyper intéressant, d'ailleurs : http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=18605886

Henri a dit…

Ces positions extrémistes de Jean-Paul NEY ne sont nullement une surprise, c'est lui tout à droite sur la photo :

http://img104.imagevenue.com/img.php?image=981818936_233549395750_598595750_4661520_216758_n_122_199lo.jpg

Maintenant, ces élucubrations n'ont que peu de portée, à part dans son esprit malade, pour lequel la justice a requis des soins psy :

http://www.kitetoa.com/Pages/Textes/Textes/Ney/Apres-proces/jugement_nanterre_10_mars-2004_jean-paul_ney.pdf