24/10/2012

Si le programme Erasmus disparaît, les études à l'étranger ne seront plus que l'apanage des riches

On était en 2007, et je sortais de 2 années de khâgne-hypokhâgne. Depuis quelques mois, je suivais sur les bancs de la fac des cours de sciences politiques, complètement fascinants pour moi parce qu'ils synthétisaient plusieurs de ces domaines que j'aime tant : les sciences sociales, l'histoire et la littérature politique. Deux ans après, j'allais être en master de journalisme à Science po. Mais d'abord, il y a eu Nathalie Ethuin.

Mademoiselle Ethuin était notre prof de Méthodes des sciences sociales. Elle est connue pour sa thèse sur les écoles et stages de formation du Parti communiste français et a enquêté sur la formation des militants dans les organisations syndicales de salariés en France. Un travail incroyable, qui n'avait pas manqué de toucher la jeune militante encartée à l'extrême gauche que j'étais.

Son cours était de loin mon préféré. Mademoiselle Ethuin était assez brute de décoffrage, nous parlait de façon très didactique, et savait distiller ce truc que seuls les bons professeurs savent faire : l'alliance de conclusions théoriques et d'exemples pratiques, toujours faite avec cette limpidité extraordinaire et cette vivacité rare.

Pourquoi je dis tout ça ? Parce que sans Mademoiselle Ethuin, son énergie, sa façon de facilement s'emporter, son dynamisme et sa turbulence, je n'aurais jamais pensé à m'inscrire pour partir en Erasmus. Je n'aurais peut-être pas eu l'envie non plus, en tout cas pas aussi rapidement, de me lancer dans le journalisme.

Cette année-là, Mademoiselle Ethuin nous avait demandé de réaliser une enquête de sciences sociales basée sur une série d'entretiens. J'avais choisi de mener mon travail sur les militants du Département Nord de la CGT (comprendre leurs parcours, leurs motivations, leurs façons de travailler avec les autres partenaires sociaux). Premières interviews, premier travail d'immersion, premiers derushs, premières conclusions d'enquête… Différentes conversations avec Mademoiselle Ethuin m'ont progressivement conduite à cette certitude : j'avais envie de faire de mon métier l'écriture, le terrain, l'actualité. Le journalisme, en somme.

C'est aussi Mademoiselle Ethuin qui, en fin d'année, m'a convoqué, prise à part, et littéralement engueulé lorsqu'elle s'est rendue compte que je n'avais pas déposé de dossier pour partir en Erasmus l'année suivante : « Vous êtes bien stupide, l'opportunité Erasmus est peut-être bien le seul vrai progrès universitaire mis à disposition des étudiants ». Le soir-même, je remplissais les feuilles administratives de la sélection. Et quelques mois après, je partais en Italie rejoindre une école de Sciences politiques, vivre dans une colocation d'Italiens, et me lier d'amitié avec des gens que je n'aurais sans doute jamais connu autrement.

Aujourd'hui, 4 ans ont passé et je porte encore les heureux stigmates de cette expatriation : je ne me sens plus appartenir à un unique endroit. J'ai toujours la bougeotte, l'envie de traverser des frontières comme si ces lignes physiques étaient autant de barrières mentales à absolument faire voler en éclats - frénétiquement, constamment, méticuleusement, avec acharnement.

À la manière stéréotypée d'une brochure de promotion éditée par l'Union Européenne, j'affirme sans détour que cette année à l'étranger m'a fait grandir. Elle m'a offert le recul nécessaire à tout projet de vie,  m'a donné la chance de me poser les bonnes questions, m'a fait voir de nouveaux horizons. Je remercie du fond du coeur Mademoiselle Ethuin, sans qui je n'aurais pas franchi le cap.

On apprend aujourd'hui qu'alors qu'il fête ses 25 ans cette année, le programme Erasmus n'a plus assez d'argent. Au début du mois, le président de la Commission des budgets du Parlement européen a annoncé au cours d'une conférence de presse que « le fonds social européen est en cessation de paiement depuis le début du mois et ne peut plus effectuer de remboursements aux Etats. La semaine prochaine, ce sera le tour d'Erasmus ».

La faute incombe vraisemblablement aux Etats membres qui ont choisi de limiter leurs dépenses à 129 milliards, soit un budget qui présente une coupe de 4 milliards par rapport à ce que demandent normalement la Commission et le Parlement européen. Pendant ce temps-là, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, assure devant l'Assemblée nationale :

« La France veut que soit offerte à tous les Européens, quel que soit leur niveau de qualification, la possibilité de se former dans un autre pays de l'Union. Aujourd'hui, l'Europe consacre 1% de son budget à cette action. Mon gouvernement demandera une augmentation sensible de cette part. Et c'est aussi le programme Erasmus qui doit monter en puissance et bénéficier à un nombre plus importants d'étudiants — et notamment issu des familles modestes. »

J'espère vivement que le spectre d'une mise à mal du programme Erasmus n'est qu'un mirage. Car me semble t-il, sans cette opportunité de mobilité européenne offerte aux étudiants (bourse, accompagnement, partenariat entre les universités), les études à l'étranger ne seront bientôt plus que l'apanage des fils et filles de familles aisées. Ce qui serait, je crois pouvoir l'affirmer sans emphase, aux antipodes de l'idéal de l'Europe ouverte et non-réservée aux élites, que nos gouvernements prétendent viser.

4 commentaires:

Cécile a dit…

Emilie,
je te suis depuis un paquet d'années maintenant (avant ton Erasmus)
je suis ravie de lire ce texte
tu as raison, si Erasmus devait disparaître, on n'aurait plus qu'une majorité de fils de hauts fonctionnaires pour 1 penser à partir à l'étranger 2 savoir que ça sert beaucoup pour l'avenir 3 en avoir les moyens.
Un désastre.

Bonne continuation, au plaisir infini de te lire

Mayda a dit…

J'ai fait une année Erasmus pas plus tard que l'an dernier et tout ce que tu dis sur les bénéfices de cette mobilité est vrai, je le ressens, les Erasmus que j'ai connu là-bas aussi. Alors oui, ça serait une énorme stupidité de sacrifier le programme Erasmus et j'ai mal au cœur de penser que les générations suivantes pourraient ne pas avoir la chance et l'opportunité de s'expatrier un an.

Anonyme a dit…

Couper dans le budget du programme Erasmus, non mais quelle absurdité... Et après l'Europe se plaint que les citoyens ne se reconnaissent pas/plus en elle ! Dingue. Erasmus est ptêt le seul truc à encore activement travailler en faveur du sentiment européen, et qui plus est auprès des jeunes ! C'est pas rien. Bientôt l'Europe ne sera officiellement plus que cette lointaine infrastructure bureaucratique, faite de députés dont on ignore les noms et de lobbys obscures.

Manon a dit…

J'applaudis cet article! Etant en terminale, je n'ai pas encore eu la chance de profiter du programme Erasmus, par contre je suis partie pour un trimestre avec Comenius, l'équivalent d'Erasmus au lycée, en Italie aussi (énorme coup de coeur pour ce pays). Cette expérience m'a transformé et je n'imagine pas poursuivre mes études sans passer une année à l'étranger, que je serais incapable de financer si Erasmus viendrait à être supprimé. Ce serait très très triste si cela arrivait, j'espère vraiment qu'on évitera ce désastre...
Au plaisir de te lire!