03/06/2012

L'obsession pour la fête des mères émancipées, c'est comme la photo des femmes ministres du gouvernement

Je vais commencer par vous faire un aveu : comme beaucoup de monde, je pense que la fête des mères est effectivement une vulgaire manifestation commerciale, mais comme beaucoup de monde, aujourd'hui, je vais me plier à la tradition du cadeau. Bien sûr, je me déplais à ne pas être jusqu'au-boutiste dans ma haine de la tyrannie du marché sur nos comportements, mais j'admets me laisser infléchir par deux paramètres :
- J'ai une Maman qui a la même vision de la fête des mères que les nanas qui disent en avoir rien à fiche de la St Valentin mais font la gueule quand elles n'ont pas « quand même un petit truc »
- Depuis que j'ai pris mon indépendance, je ne peux plus couvrir mes parents de petites attentions quotidiennes, alors mécaniquement, je veille à au moins "respecter" les échéances des fêtes.


Du coup, l'objet de ce post ne sera ni de disserter de la légitimité de cette fête, ni de tenter de vous convaincre de ne pas y participer, puisque j'ai pour ma part décrété que si faire plaisir à ma Maman doit supposer quelques entorses à ma déontologie, alors tant pis, OK allons-y. Appelez-ça amour, pression sociale ou famille en tant qu'institution bourgeoise : vous n'aurez de toutes façons pas tord dans le sens où je puise dans vraisemblablement un peu des trois. Bref. Je suis en réalité là pour discuter avec vous de ce que j'ai appelé « l'arbre qui cache la forêt » en terme de cadeaux de fêtes des mères.


Au hasard de vos tribulations sur le world wide web, vous êtes très certainement tombés sur la publicité qui suit (elle a été très fortement relayée et tout le monde a pu s'en indigner). Pour la fête des mères, les magasins Géant Casino en Guyane ont effectivement vu les choses en grand :

Une double page de réclames à l'occasion de la fête des mères, Géant Casino en Guyane

Si (heureusement) nous sommes une majorité à être capables de juger cette publicité « ridicule », « révoltante » et d'ailleurs tellement premier degré que « trop drôle », nous sommes malheureusement beaucoup moins prompts à noter que les autres messages délivrés par la sphère marketing ne sont PAS PLUS exempts de clichés

Je vous donne pour exemple cet e-mail que j'ai eu la (cynique) bonne surprise de recevoir il y a quelques jours : 

Le communiqué m'apprend grosso modo que les mamans ne sont pas que des fées du logis et des tutrices (CULTURE) : elles sont avant tout des femmes (NATURE). Avec ce qu'il faut de sensualité. Sensualité sans laquelle nous ne serions pas là aujourd'hui puisque tous autant que nous sommes, nous ne nous trouvons être que les produits de l'union de la chair entre un homme et une femme, donc.

En fait, tout se passe comme si à trop vouloir faire mentir son stéréotype de manifestation conservatrice, la fête des mères en tombe dans un autre, de stéréotype. La logique devient alors la suivante : si nos génitrices ne sont pas que des mères de famille asexuées (à qui il est de bon ton d'offrir machine à laver et aspirateur), elles sont forcément sexuelles (« en avant le progressisme, achetons-leur des sous-vêtements, blabla »).

Attention, qu'on se comprenne bien : je ne suis pas foncièrement contre l'idée d'offrir des sous-vêtements à ma mère pourvu 1. que ce soit elle qui m'en souffle l'idée, ou 2. qu'elle ait un faible avéré pour la lingerie. Mais acheter des sous-vêtements à ma mère pour me dédouaner de jouer le jeu d'une fête rétrograde, c'est non seulement une démarche littérale et égocentrique mais aussi, accréditer l'idée poncive que l'inverse de « maman » c'est « femme sexy ». Voilà, nous y sommes. Il est là, l'arbre qui cache la forêt dont je vous parlais : une pub pour des produits ménagers spéciale fête des mères nous indigne, mais une pernicieuse et impitoyable injonction à acheter des soutifs et des culottes pour être conforme à la modernité, non. Pourquoi ?

L'évolution dans le temps des cadeaux faits à nos mamans est en réalité assez symptomatique des tensions encore au coeur du statut de ces femmes, desquelles on aime lourdement préciser (dans un sursaut de culpabilité) qu'elles sont « nos mères, MAIS PAS QUE ».

Rappelons que la fête des mères, à qui l'on prête souvent une origine pétainiste, est un concept qui est en réalité bien antérieur au régime de Vichy : au début du XXe siècle déjà, la fête des mères récompensait les mères de familles nombreuses. L'idée originelle n'est donc pas de célébrer « la femme qu'il y a dans chacune de nos mères », mais bien « les mères méritantes, celles qui cravachent dur pour s'occuper d'une ribambelle de gamins ». 

Ce n'est pas un hasard si à l'échelle d'une vie, la fête des mères est d'abord l'occasion d'offrir des cadeaux fabriqués manuellement à l'école : colliers de pâtes, cadres en papier mâché, porte-clés en bois sérigraphiés… Ces petites attentions sont le symbole direct de la filiation : tous les jours, Maman donne de sa personne pour s'occuper de moi, aujourd'hui c'est à mon tour de donner de ma personne en lui fabriquant un truc. Quand le temps passe et qu'enfin l'on grandit, la tradition reste et on se met alors à offrir des objets

Si ces objets ont longtemps été des produits ménagers (ce qui est assez logique, quand on sait que dans notre imaginaire collectif, une mère est toujours associée à la chaleur d'un foyer), le capital s'est rendu compte entre temps qu'il gagnerait à instaurer une « discrimination positive » du cadeau. Ainsi, on offre maintenant :
- de la culture (livres, films, albums, places de théâtre), du bien être (soin thalasso, massage) => pour célébrer la personnalité de nos mères
- de la beauté (maquillage, parfum) et de la lingerie => pour mettre à l'honneur leur féminité 

Sauf que la discrimination positive ne cesse d'être discriminante que lorsqu'elle n'a plus à prendre la peine de systématiquement se mettre en avant. Autrement dit : il m'est d'avis que les mères seront peut-être considérées comme de vraies femmes le jour où le marketing se décidera à arrêter de le répéter à tout bout de champs. En fait, c'est pas différent de l'histoire de Jean-Marc Ayrault qui pose avec les meufs de son gouvernement :


Si la parité devrait être « normale », pourquoi la rendre « exceptionnelle » en prenant ce genre de photos ?

Tout ça pour dire que l'an prochain, je ne m'interdirai pas d'offrir une poêle Téfal à ma mère si elle en a l'utilité - non pas en tant que mère de famille, mais en tant que femme qui adore cuisiner. Et non, je ne me forcerai jamais à lui offrir de la lingerie pour m'assurer une crédibilité de progressiste alors qu'elle en a objectivement rien à foutre de Chantal Thomass.

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